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Espagne: chasse aux symboles de la dictature franquiste

"Il est inimaginable de voir une statue du Führer en Allemagne ou du Duce en Italie. En Espagne, il y encore une statue de Franco". Rues, monuments, inscriptions. Presque 40 ans après sa mort, le dictateur hante encore le pays.

Et Eduardo Ranz, jeune avocat de 30 ans qui n'a jamais connu le "caudillo" Francisco Franco, mort le 20 novembre 1975, poursuit: "C'est comme si en Allemagne une victime du nazisme voyait une croix gammée dans la rue. C'est impensable".

Le juriste a donc déposé une plainte le 11 février - anniversaire de la proclamation de la première république espagnole en 1873 - à l'encontre de 38 maires, y compris Ana Botella (Parti populaire, droite), aux commandes à Madrid, afin d'obtenir le retrait de 86 symboles de la dictature franquiste (1939-1975).

Une autre série de plaintes devrait suivre le 14 avril, date anniversaire de la deuxième république proclamée en 1931, visant cette fois les symboles franquistes dans les écoles religieuses et les établissements de l’Eglise catholique, dont la hiérarchie était liée au régime.

L'objectif est de "rendre la dignité aux victimes du franquisme, de cesser de nous humilier comme pays", dit l'avocat.

La sienne n'est pas la première plainte visant les dizaines de symboles rendant hommage au dictateur ou aux généraux putschistes de 1936. Mais c'est la première visant autant de maires à la fois, fait valoir Eduardo Ranz.

Au nom d'une loi d'amnistie de 1977, adoptée pendant la période dite de "transition" vers la démocratie, l'Espagne a toujours refusé de lever le voile sur les plus sombres épisodes de son histoire contemporaine, afin d'éviter que ses citoyens ne se déchirent encore.

- 'Tombe pharaonique' -

Une politique qui a débouché sur des paradoxes incroyables: "Par exemple que les victimes du franquisme payent avec leurs impôts l'entretien de la tombe du dictateur. Cela n'existe dans aucun pays démocratique au monde", dénonce Emilio Silva, président de l'Association pour la récupération de la mémoire historique.

L'Arc de la Victoire, haut de quelque 50 mètres et construit à l'entrée ouest de Madrid par Francisco Franco à la gloire de ses troupes, "est un exemple édifiant. Il est à 800 mètres de la résidence des présidents du gouvernement et aucun n'a pris de mesures pour le retirer ou changer son sens en 40 ans". Or, "il s'agit d'une reconnaissance publique en l'honneur de gens ayant participé à l'assassinat de 100.000 civils", accuse-t-il.

Son association assure que 113.226 personnes dont des républicains ont disparu pendant et après la guerre civile (1936-1939). Seules 6.000 victimes du franquisme ont pour l'heure été retrouvées, notamment dans des fosses communes, et inhumées dignement.

Outre la "tombe pharaonique" de Franco au Valle de los Caidos, non loin de Madrid, et l'Arc de la Victoire, Eduardo Sanz dénonce aussi la Plaza del Caudillo au Pardo où Franco résidait, ou encore sa statue dédiée au "Commandant de la légion D. Francisco Franco Bahamonde 1921-1977" à Melilla, enclave espagnole au Maroc.

Interrogées, les mairies de Madrid et de Melilla n'avaient pas répondu jeudi. Melilla a toujours refusé de retirer la statue de Franco, jugeant qu'elle honorait le militaire et non le dictateur.

Pour Eduardo Ranz, ces symboles enfreignent la loi sur la mémoire historique de 2007, qui dispose que "les administrations publiques prendront les mesures opportunes pour retirer les écussons, insignes, plaques et autres objets ou mentions commémoratifs d'exaltation, personnelle ou collective, du soulèvement militaire, de la guerre civile et de la répression par la dictature".

"L'Espagne est un cas unique dans le monde démocratique, non seulement parce que personne n'a été jugé, mais aussi parce que de nombreux monuments sont encore présents", regrette Emilio Silva.

Il y a même une étude de l'ONU du 2 juillet 2014 sur ce sujet, s'indigne-t-il, en soulignant qu'il s'est rangé du côté des victimes, en recommandant une série de mesures pour "la vérité, la justice, la réparation et des garanties de non-répétition" des faits.

- Humiliation -

"Les victimes du franquisme pensent que, malheureusement, si elles faisaient partie d'une autre catégorie de victimes, comme celles du terrorisme, la réaction de l'Etat ou des juges aurait été très, très, très différente", déclare Eduardo Ranz.

Parmi elles, Chon Vargas, dont la mère, Ascension Mendieta, est un porte-drapeau des familles de quelque 100.000 victimes des troupes franquistes.

"Pour nous, c'est une humiliation", témoigne Chon Vargas. "Ma mère vit dans la rue portant le nom des Frères Garcia-Noblejas, particulièrement cruels durant le régime fasciste. Je veux qu'ils retirent le nom de cette rue", dit-elle. "Les juifs ont reçu réparation. Nous aussi, nous l'exigeons: vérité, justice et réparation".

Pour l'heure, le débat a été enterré par la crise, relève Jesus de Andres, professeur de sciences politiques et spécialiste de la mémoire historique.

Mais, dit-il, si le jeune parti de gauche Podemos, qui n'a pas connu la transition, "arrive au pouvoir, je pense que (ce débat) reviendra à l'agenda politique".

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