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La terreur au bout du fil en Bulgarie: les personnes âgées, comme Guerguina, victimes d'arnaques très inventives

Rien de plus basique qu'une arnaque téléphonique. Mais en Bulgarie, de telles escroqueries sèment la terreur parmi les personnes âgées, confrontées à des scénarios toujours plus inventifs, agressifs et très rémunérateurs. "Ils m'ont tout pris: mon argent, ma santé", sanglote Guerguina Alexieva, 82 ans, cloîtrée dans son appartement de Kustendil depuis le sinistre épisode du 17 janvier.

Par téléphone, un faux policier lui demande son aide pour arrêter un réseau de malfaiteurs. Un autre appel, sur son portable: c'est cette fois un membre du soi-disant réseau... "Je tremblais. Le malfaiteur me menaçait sur mon portable. Et sur le téléphone fixe, le policier me disait 'Ne vous inquiétez pas, madame... Prenez tout ce que vous avez - argent, bijoux... Faites comme ils disent, et tout ira bien'", témoigne l'ancienne enseignante. Elle a ainsi jeté ses économies par le balcon, comme si elle obéissait aux escrocs, et a perdu 5.800 leva (près de 3.000 euros), les économies de sa vie.
 
Ce modus operandi est très exploité

Ce stratagème mettant en scène une pseudo-coopération avec la police "est actuellement très exploité", confirme à l'AFP Zlatka Padinkova, une responsable de la direction générale de la police. Aux mensonges s'ajoute souvent l'intimidation. "C'est la menace de couper les oreilles de ma fille qui m'a fait craquer", témoigne une ex-médecin de 79 ans qui, en octobre, a remis ses bijoux et 3.000 leva (1.500 euros), avant de faire une crise cardiaque.

Prévention à l'église

Pas une semaine ne passe sans que les médias n'évoquent une dizaine de ces chantages téléphoniques et leur cohorte de retraités traumatisés. Au point que les pouvoirs publics se sont saisis du problème. Un clip de mise en garde est diffusé par la chaîne publique de télévision. Et la police va organiser des réunions de prévention dans les clubs de retraités à l'image de celles qui se tiennent déjà à Rogoch, un village du sud du pays.

Chaque semaine, les personnes âgées s'y informent des nouveaux stratagèmes à l'oeuvre. "Depuis un an, aucun habitant n'est tombé dans le piège", se félicite le maire, Velitchka Velitckova. Au monastère de Gigintsi, le prêtre Nikanor, lui, met en garde les fidèles à la fin de ses sermons.

L'arnaque téléphonique est presque aussi lucrative pour les réseaux criminels

Dans ce pays le plus pauvre de l'Union européenne, beaucoup de personnes âgées vivent loin de leurs proches en raison d'une forte émigration. Et ils gardent souvent d'importantes sommes d'argent chez eux, échaudés par plusieurs épisodes de faillite bancaire. Au point que l'arnaque téléphonique est presque aussi lucrative pour les réseaux criminels que les vols de voitures, selon certains experts.

La police bulgare estime qu'elle a rapporté au moins 11 millions d'euros de 2011 à 2016. Rien que pour l'année 2015, la recette totale des cas connus s'élève à 3,4 millions euros.

Selon un récent sondage de l'institut Trend, environ 900.000 personnes, sur 7,4 millions d'habitants, disent avoir été la cible de telles tentatives de chantage, soit près de 12% de la population. Les scénarios s'adaptent à l'actualité et aux usages en Bulgarie. Dans un pays où la pratique du pot-de-vin est répandue, les escrocs extorquent des sommes en affirmant par exemple qu'elles permettront de graisser la patte d'un médecin, pour sauver la vie d'un proche, ou d'un enquêteur, qui fermera les yeux devant un accident impliquant un membre de la famille.

Arnaques en famille

Même si les personnes dupées sont de plus en plus nombreuses à porter plainte, stimulées notamment par les nombreux articles de presse consacrés à ces affaires, les auteurs d'à peine un cas connu sur dix sont identifiés. "C'est un miracle quand nous y arrivons!", s'exclame un agent. Car tout se passe par téléphone et le commanditaire n'a pas de lien direct avec l'exécutant de la combine.

124 personnes, dont une majorité d'exécutants, ont été arrêtées en 2016 pour de telles escroqueries. La police sait où traquer les réseaux, implantés dans certaines villes du pays, mais les preuves manquent. Rien de plus facile que d'acheter une carte SIM sous une identité d'emprunt puis de s'en débarrasser rapidement. "Des familles, sur trois générations, se sont spécialisées dans ces arnaques. Des quartiers entiers font cela depuis les années 1990. Mais si nous les démasquons, c'est un de leurs membres au casier vierge qui endosse la responsabilité, et il s'en sort avec du sursis, sûr de son impunité", explique le même agent.

Flairant le bon filon, les aigrefins bulgares ont étendu leurs combines en Grèce voisine. Sept Bulgares ont récemment été remis à la justice de Thessalonique, en Grèce, pour une escroquerie au préjudice de 34 retraités grecs. "Depuis la crise bancaire, les Grecs gardent des sommes importantes chez eux", assure l'inspecteur Padinkova. "Si en Bulgarie une escroquerie typique rapporte de 2.000 à 5.000 leva (1.000 à 2.500 euros), en Grèce cela peut monter à 30.000 ou 50.000 euros".

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