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Royaume-Uni: les produits du terroir au défi du Brexit

"Dégagez, ce n'est pas votre fromage!". Pour se défendre des imitations, Charles Martell a reçu il y a 20 ans un label européen pour son fromage à pâte semi-molle du Gloucester, un privilège aujourd'hui menacé par le Brexit.

Des dizaines de spécialités du terroir britannique risquent ainsi de perdre leur appellation une fois que le Royaume-Uni sera sorti de l'Union européenne. Une perspective qui laisse les producteurs dans l'incertitude totale quant à la manière de protéger leurs produits à l'avenir.

Car le Royaume-Uni ne dispose pas d'un système national de labels comparable à celui qui existe par exemple en France avec l'appellation d'origine contrôlée (AOC) ou l'appellation d'origine protégée (AOP), garantissant le processus de fabrication ou la provenance des produits.

C'est pourquoi Charles Martell s'est tourné il y a deux décennies vers les autorités européennes. Dans sa ferme du Gloucestershire, au sud-ouest de l'Angleterre, il produit le "Single Gloucester cheese", qui s'apparente à la tomme de Savoie, selon une recette de 1931: "Certains commençaient à faire le même fromage à l'étranger et je me suis dit +dégagez, ce n'est pas votre fromage!+", explique-t-il à l'AFP au milieu de ses vaches à Dymock, dans le comté de Gloucester, un jour glacé du mois de février.

Il a alors postulé avec succès pour recevoir le label européen d'appellation d'origine protégée. Celui-ci défend des spécialités locales produites, transformées et élaborées dans une aire géographique déterminée, "en mettant en œuvre le savoir-faire reconnu de producteurs locaux et des ingrédients provenant de la région concernée", selon la définition de Bruxelles.

Le champagne français, le jambon de Parme italien ou la feta grecque sont des exemples connus. Le Royaume-Uni compte, lui, 77 produits protégées par ce label, de la crème fraîche des Cornouailles au saumon sauvage d'Écosse en passant par le Scotch whisky.

- Employés roumains, bulgares, polonais -

Selon les chiffres de la Commission européenne, les produits sous appellation d'origine protégée se vendent 2,3 fois mieux que des produits équivalents ne bénéficiant pas de ce label. Et les producteurs sont en droit de demander des financements à l'UE pour les promouvoir.

Lorsqu'il a commencé à ressusciter le "Single Gloucester cheese" en 1976, Charles Martell trayait ses trois vaches à la main et vendait quelques meules sur le marché local. Aujourd'hui, il exporte dans trente pays.

Il emploie notamment un Roumain expert en matière de traite des vaches, ainsi que du personnel venu de Pologne et de Bulgarie. Des fermiers craignent par ailleurs d'avoir du mal à embaucher à l'avenir si le Brexit a pour effet de fermer la porte du marché du travail britannique aux travailleurs venus du continent.

Daniela Welch, originaire de Bulgarie et qui fabrique du Single Gloucester cheese depuis 13 ans pour M. Martell, se veut positive. "Je suis sûre qu'on va continuer à avoir accès (avec nos fromages) au marché européen", même sans le label de l'UE, dit-elle.

Avant même le lever du soleil, cette Bulgare et ses collègues enfilent leurs salopettes blanches et leurs bottes en caoutchouc pour transformer le lait en meules de fromage à pâte dure, qui seront ensuite stockées, le temps que la croûte se développe.

- "Nous nageons dans l'incertitude" -

A Newmarket, dans l'est de l'Angleterre, les producteurs d'une saucisse locale faite de chair de porc et d'herbes ont opté pour un label européen différent, l'Indication géographique protégée (IGP) -- plus liée au territoire qu'au processus de fabrication -- après avoir vu là aussi émerger des "copies" de leurs produits.

Grant Powter, dont la famille en fabrique depuis les années 1880, qualifie cette appellation d'outil "décisif" pour son entreprise.

Même son de cloche chez son concurrent Musk's, également présent sur le marché de la saucisse de Newmarket depuis la fin du XIXe siècle.

"Jusqu'à ce que l'article 50 soit activé, nous nageons dans l'incertitude", souligne un représentant de cette maison, Edward Sheen, en référence au déclenchement officiel de la procédure de divorce avec l'UE, qui est imminent.

Le gouvernement britannique n'a pour l'instant pas annoncé de solution pour remplacer ces labels européens par un mécanisme similaire qui serait propre au Royaume-Uni.

Mais "ces produits sont très importants pour cimenter notre réputation de grand pays culinaire et nous allons œuvrer pour qu'ils continuent à être protégés à l'avenir", a dit à l'AFP une porte-parole du ministère de l'Agriculture.

Charles Martell dit ne pas imaginer "que le gouvernement n'élabore pas une version britannique" de label. "Ce serait fou qu'ils ne le fassent pas", dit-il.

Pour autant, ce producteur de fromage ne cache pas sa satisfaction de voir le Royaume-Uni quitter l'UE. Le Brexit pourrait selon lui être une opportunité d'avoir une meilleure protection de l'environnement et de mettre fin aux subventions "trop généreuses versées aux grandes exploitations agricoles".

Mais il dit ne pas être dupe quant aux priorités de Londres. "Le gouvernement a du pain sur la planche avec 40 ans de coopération européenne à défaire. Je ne pense pas que notre dossier ne sera pas sur le haut de la pile".

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