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A Lille, la difficile cohabitation entre la ville qui s'amuse et la ville qui dort

Depuis le 1er janvier, les bars de Lille, réputée pour sa vie nocturne, doivent fermer plus tôt quatre jours par semaine. Une décision de la municipalité qui illustre la difficulté de concilier en France la ville qui dort et la ville qui s'amuse.

Le promeneur qui s'aventure dans le Vieux-Lille ou dans le quartier de la soif "Solférino-Magenta" ne peut pas rater les grandes banderoles: "Touche pas à mon bar", "Non à la fermeture des bars à 1 heure de dimanche à mercredi", "Ici, 5 emplois menacés".

Plus de trois mois après l'arrêté, les gérants de la centaine d'établissements touchés font les premiers comptes. Et ils sont mauvais.

"En mars, mon chiffre d'affaires a chuté de 22%", peste Guillaume Delbarre, qui dirige "Le privilège". "J'ai déjà licencié une personne et deux autres vont être sur le carreau."

"Avant l'arrêté, les Belges disaient que Lille bougeait... L'image de Lille est ternie", dit-il, regrettant que la discussion avec la municipalité socialiste soit "bloquée".

Amandine Bretones, qui gère le Peek-a-Boo, restaurant à la déco américaine des années 1950 proche de la Grand'place, a mis une banderole alors qu'elle n'est pourtant pas concernée par l'arrêté.

"Mais on fait partie de toute une économie! La nuit est une chaîne, les restaurateurs, les brasseurs, les chauffeurs de taxi en pâtissent", dit-elle.

Thierry Grégoire, président régional de l'Union des Métiers et des Industries de l'hôtellerie (UMIH), regrette que toute la vie nocturne soit touchée "pour deux ou trois bars qui ont fait n'importe quoi" alors que la ville de Lille a "toujours été citée en exemple" pour sa gestion de la vie nocturne.

"Nantes et Rennes avaient pris une décision semblable et les deux villes sont revenues en arrière presque six mois après, car c'était contre-productif, la police estimait qu'il y avait plus de problèmes quand les bars finissaient plus tôt", affirme-t-il, soulignant que "les rues de Lille n'ont pas vocation à devenir un bistrot à ciel ouvert" et que les établissements nocturnes "ferment à 4h à Lyon et Strasbourg".

Son syndicat, ainsi que neuf établissements, ont ainsi attaqué la mairie devant le tribunal administratif, qui doit rendre une décision sur le fond dans plusieurs mois.

-'Dérives graves'-

Au beffroi de l'hôtel de ville, on rétorque que le régime précédent "avait présenté ses limites", pointant "des dérives graves".

"Ces dernières années, de multiples problèmes sont venus ternir la vie nocturne lilloise, comme c'est le cas dans la plupart des grandes villes françaises: vols avec violence, phénomène de prédations nocturnes, vandalismes et dégradations dans les rues adjacentes, hyperalcoolisation inquiétante des jeunes, extension de l'usage des stupéfiants, tapage nocturne", plaide Martine Aubry.

Selon la municipalité, entre 2011 et 2014, près de 5.800 amendes ont été dressées par la police municipale contre des particuliers comme des professionnels en raison des nuisances générées par la vie nocturne.

Les associations de lutte contre les nuisances sonores applaudissent mais jugent qu'il reste encore "fort à faire", estimant que la prise de conscience des effets du bruit sur la santé est au même niveau que le tabac dans les années 1970.

"Cette mesure semble avoir un effet positif", reconnaît Gérard Lefevre de l'association antibruit de voisinage (AAbV), qui fixe à 50 décibels le bruit tolérable la nuit en milieu urbain, soit le bruit d'un lave-vaisselle.

-'Vie nocturne de qualité'-

Mais cette privatisation de la fête inquiète le sociologue Christophe Moreau, chercheur associée à l'Ecole de la santé publique de Rennes, qui a étudié la nuit bretonne.

"Cette économie de la nuit va se reporter sur les supermarchés et les gens vont consommer chez eux, où il y a moins de régulation car les professionnels de la nuit sont un minimum formés et régulent les consommations", dit-il, rappelant qu'on est passé de 500.000 cafés en France au début du XXe siècle à 30.000 aujourd'hui.

"Rien ne vaut la négociation de proximité et d'avoir des zonages différenciés pour toujours créer un mouvement dans la ville et que tout le monde ne soit pas à la même heure déversé dans la rue", explique-t-il.

Reste qu'il est difficile pour toutes les villes françaises de concilier les intérêts divergents entre le monde de la nuit et les riverains aspirant à dormir sur leurs deux oreilles.

Ainsi, à Strasbourg, une association de riverains a fait parler d'elle en n'hésitant pas à publier sur internet des vidéos de soulards braillant dans la rue.

Mais plusieurs initiatives plus conciliatrices voient le jour. A Besançon, la municipalité et la préfecture ont mis en place une "charte des bars" en octobre pour tenter de résoudre les problèmes de nuisance nocturne.

Les bars signataires de la charte sont autorisés à ouvrir jusqu'à 2h30 du matin le jeudi, vendredi, samedi (contre 1h pour les non-signataires). La dernière demi-heure d'ouverture doit être "non commerciale". Les signataires s'engagent à mettre à disposition des clients de l'eau, des préservatifs et des alcootests, ainsi qu'un téléphone pour appeler gratuitement un taxi.

A Lyon, plus d'une centaine d'établissements ont également adhéré à une charte. "Mais si un établissement ne joue pas le jeu, nous ouvrons une cellule de veille et si la situation s'aggrave, il n'a plus l'autorisation jusqu'à 4 heures", dit Jean-Yves Sécheresse, adjoint au maire de Lyon, en charge du dossier.

L'enjeu est de taille pour les métropoles "car pour être attractive, une grande ville se doit d'avoir une vie nocturne de qualité", souligne M. Sécheresse.

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