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Affaire Bettencourt: le juge Gentil, une main de fer invisible

"L'affaire Bettencourt", dossier tentaculaire dont le premier volet est jugé à partir de lundi à Bordeaux, est étroitement associée au nom du juge d'instruction Jean-Michel Gentil, homme aussi discret qu'inflexible qui n'a pas hésité à mettre en examen l'ex-chef d'Etat Nicolas Sarkozy, finalement mis hors de cause.

Cette mise en examen, en mars 2013, pour "abus de faiblesse" au préjudice de la milliardaire Liliane Bettencourt, s'est soldée par un non-lieu. Et elle a valu au magistrat une attaque en règle de la part d'Henri Guaino, "plume" de Nicolas Sarkozy, qui avait écumé studios de radio et plateaux de télévision pour dire tout le mal qu'il pensait du juge.

Pour l'ex-conseiller présidentiel, Jean-Michel Gentil avait non seulement "déshonoré un homme" mais aussi "la justice". Poursuivi pour "outrage à magistrat" devant le Tribunal correctionnel de Paris, Henri Guaino avait été relaxé le 27 novembre 2014, le Parquet ayant fait appel du jugement.

Jusqu'à sa nomination à Lille l'été dernier, Jean-Michel Gentil, âgé de 54 ans, appartenait à la Juridiction interrégionale spécialisée (JIRS) de Bordeaux. Avec Cécile Ramonatxo et Valérie Noël, les deux autres juges de l'affaire Bettencourt, il y a fait partie, durant près de dix ans, des "seigneurs de l'instruction" bordelaise.

A la JIRS, "c'est Gentil qui dirige et on a le sentiment qu'il verrouille tout", affirmait un collègue, alors que d'autres évoquent une "chape de plomb, presque une parano" de la part de celui qui rechigne à parler à des avocats "en dehors de la procédure".

Le transfert du dossier Bettencourt depuis Nanterre est allé de pair avec la commande de deux armoires fortes et l'installation d'une vitre opaque à l'entrée de la JIRS, pour décourager les curieux.

- "Pas du genre à se laisser impressionner" -

Silhouette fine, regard noir, physique passe-partout, Jean-Michel Gentil jouissait au TGI de Bordeaux d'une image de professionnel "pas toujours très aimable", ayant un peu "pris la grosse tête".

Un collègue évoque sa confrontation avec un "colérique, qui n'accepte pas très bien la contradiction", et se serait mis à "hurler dans les couloirs" après un désaccord.

"C'était un peu le genre incorruptible", se rappelle un camarade de Sciences-Po Bordeaux, au début des années 1980. "Pas un rigolo, mais il avait du recul sur son caractère et il s'amusait parfois à en rajouter".

Ce natif de Saumur (Maine-et-Loire), licence de droit en poche, s'inscrit à l'Ecole nationale de la magistrature (ENM) en 1984.

Après sept années comme juge d'instruction à Dunkerque (Nord), il est nommé à Nanterre et se fait connaître en s'attaquant aux réseaux de proxénétisme parisiens. Il sort de l'ombre en 1998 pour combattre la réforme de la justice du Garde des Sceaux d'alors, la socialiste Elisabeth Guigou, en tant que président de l'Association française des magistrats instructeurs (AFMI). "Il affirmait ses positions avec courage", dit son successeur, Jean-Claude Kross.

Même détermination en 2001, un an après son arrivée à Ajaccio, quand il met en examen Me Antoine Sollacaro, l'avocat d'Yvan Colonna, assassiné le 16 octobre 2012, pour "violation du secret de l'instruction".

Pour protester, les avocats corses cadenassent les grilles du tribunal. Jean-Michel Gentil "est descendu devant nous (une soixantaine d'avocats) et nous a demandé d'ouvrir", raconte Me Camille Romani, alors Bâtonnier du Barreau d'Ajaccio. "Il n'est pas du genre à se laisser impressionner, mais pas non plus à reconnaître ses torts".

Nommé maître de conférences à l'ENM fin 2002, le magistrat est réputé pour son carnet d'adresses, mais se distingue par ses méthodes: "L'usage veut que chacun fasse travailler les auditeurs sur ses propres dossiers, mais on n'a jamais pu voir ceux qu'il a instruits", affirme un ancien collaborateur.

"Il ne faut pas s'attendre à ce qu'il fasse plus de cadeaux à la droite qu'à la gauche", disent en choeur, pro et anti, tandis qu'un collègue le qualifie d'"anar de droite".

Le juge de l'affaire Bettencourt a été nommé en juin 2014 au TGI de Lille comme vice-président chargé de l'instruction. Il y suit notamment le dossier des conditions d'attribution du Stade Pierre-Mauroy.

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