Accueil Actu

Au procès de la riche veuve "suicidée" de Neuilly, l'accusation à la peine

Comment juger un dossier vieux de 10 ans, aux preuves indigentes, expertises contradictoires et protagonistes amnésiques? Laborieusement, constate la cour d'assises des Yvelines, où le procès de l'affaire de la riche veuve "suicidée" de Neuilly peine à faire émerger des certitudes.

Sur le banc des accusés, Franck Renard Payen et Olivier Eustache, deux amis de la victime, Dominique Aubry, surnommée "Libé", n'ont jamais varié: ils sont étrangers à la mort de leur protectrice, dont le corps a été retrouvé pendu le 1er décembre 2005, à l'escalier en colimaçon de sa luxueuse péniche des quais de Seine. Déprimée depuis son récent veuvage, Libé s'était illustrée avant sa mort par une consommation excessive d'anxiolytiques et d'alcool et une tentative de suicide six mois plus tôt.

Mardi, au septième jour d'une audience en appel qui doit en compter encore trois, Franck Renard Payen s'est parfois montré moins constant, à tout le moins davantage brouillon, dans le récit des heures qui ont précédé sa découverte de la dépouille.

Face à une contradiction, Renard Payen "ne l'explique pas"; face à une erreur factuelle, il s'"est trompé". "Vous vous trompez quand même souvent", relève le président, Philippe Boussand, alors que l'accusé, voix fluette peu fluide, multiplie les trous de mémoire.

La veille des faits, le 30 novembre 2005, celui qui avait été désigné héritier universel par la victime quelques temps plus tôt, avait dîné sur la péniche en compagnie de la future victime et de son désormais co-accusé, Olivier Eustache.

Faute de mieux, la cour d'assises a tenté de reconstituer la soirée, parfois jusqu'à une déroutante minutie dans ses questionnement, "un monitoire bénédictin", résumera l'un des avocats de la défense, Me Eric Dupond-Moretti.

Trois heures durant, la Cour s'est interrogée: peut-on manger proprement des cacahuètes, un plat à gratin dans lequel a cuit un poulet -et non un gratin- peut-il être mis directement dans un lave-vaisselle et ressortir propre ("oui", selon Me Dupond-Moretti; "non", selon sa co-équipière de défense, Me Emmanuelle Kneusé), y a-t-il une différence entre "des chaussures à peau à talon" et "des boots en daim", peut-on plier une enveloppe A4 en quatre?

"A un moment, pendant l'instruction, on a même évoqué la date de péremption du poulet: on est chez les fous!", conclut Me Dupond-Moretti.

- 38 experts -

Le second accusé, davantage affable et au ton assuré, décrit une Libé "un peu bougon ce soir-là". Mais, interrogé sur des horaires précis, Olivier Eustache sèche, "c'est quand même difficile d'être précis", seule hésitation notable d'un récit par ailleurs maîtrisé.

Restent aux jurés de composer avec les expertises, nombreuses: 38 ont concouru à l'enquête et autant présentent des nuances, parfois notoires.

"Pas d'absence totale de vigilance" de la victime, car accoutumée aux psychotropes, pour l'un, en état quasi comateux pour un autre. "Alcool plus médicaments, ça favorise le passage à l'acte", assure un troisième.

Une strangulation avant la pendaison? "On ne peut l'exclure", "c'est compatible", mais "il n'y a pas d'arguments pour une strangulation", précise encore l'une des sommités.

"Pas de règles absolues", "pas de certitude", "pas d'exclusives", répondent en chaîne les experts. Toujours plus déroutant, l'heure estimée de la mort court, selon les techniques, sur une plage de près de 24 heures.

Dans la botte de l'accusation, l'ADN peine même à éclairer les débats. Des traces génétiques ont certes été retrouvées sur la corde, notamment celles d'Olivier Eustache et de la victime, entre autres mélanges tantôt inexploitables, tantôt inconnus. "Je ne suis pas sûre, je ne peux pas l'être à 100%, ça fait 10 ans", se défend l'experte.

En première instance, les deux accusés avaient été acquittés.

À la une

Sélectionné pour vous