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Brésil: le Sénat ouvre le procès en destitution de Dilma Rousseff

Le Sénat brésilien a ouvert jeudi le procès final en destitution de la présidente de gauche Dilma Rousseff qui selon tous les pronostics devrait mettre fin à 13 ans de gouvernements de gauche dans la première économie d'Amérique latine.

Sauf énorme surprise, c'est bien Michel Temer, 75 ans, son ancien vice-président de centre-droit devenu rival, qui dirigera le Brésil jusqu'aux prochaines élections présidentielle et législatives prévues en 2018.

Tout aussi impopulaire que Mme Rousseff, M. Temer assure la présidence par intérim depuis qu'elle a été suspendue de ses fonctions le 12 mai par plus des deux tiers des sénateurs.

"Je déclare la séance ouverte", a annoncé dans la matinée le président du Tribunal suprême fédéral (STF) Ricardo Lewandowski, qui dirige les débats conformément à la Constitution. Il a rappelé aux sénateurs qu'ils se transformaient pour l'occasion en "juges" et devaient "laisser de côté leurs positions idéologiques et partisanes".

Les 81 parlementaires jugeront, probablement mardi ou mercredi, si l'ex-guérillera de 68 ans s'est rendue coupable de maquillages des comptes publics et d'avoir signé des décrets engageant des dépenses imprévues sans l'accord préalable du Parlement.

Mme Rousseff, qui se défendra personnellement lundi devant le Sénat, clame son innocence et se dit depuis des mois victime d'un "coup d'Etat" institutionnel.

Une nette tendance se dégage en faveur de la destitution - par un vote requis des deux tiers - de Mme Rousseff, première femme élue à la tête du géant émergent d'Amérique latine, une ex-guérillera emprisonnée et torturée sous la dictature militaire.

- "Tribunal d'exception"? -

"Au cours de plus de 100 jours qu'a duré ce procès, les sénateurs se sont déjà formé une opinion et je ne crois pas qu'il y aura un quelconque changement. Ma prévision est que 59 à 61 sénateurs se prononceront pour la destitution", alors que 54 sont requis, a déclaré à l'AFP le sénateur d'opposition Raimundo Lira.

Pendant la première matinée de cette session historique, les sénateurs de gauche sont montés au créneau pour soulever des questions de procédure, rejetées l'une après l'autre, et dénoncer un procès "illégitime", avant l'audition de témoins prévue dans l'après-midi.

"Ce procès n'a pas de fondement juridique", a critiqué la sénatrice Fatima Bezerra, du Parti des travailleurs (PT, gauche), dénonçant "un tribunal d'exception".

"Quelle est la morale de ce Sénat pour juger Dilma Rousseff ?", s'est interrogée sa collègue Gleisi Hoffmann (PT), alors que plus de la moitié des sénateurs présents, dont elle-même, sont soupçonnés de corruption ou font l'objet d'une enquête judiciaire.

Mercredi soir, Mme Rousseff avait promis de se battre "avec la même force que quand j'ai lutté contre la dictature militaire". "Nous devons garder espoir", avait-elle lancé devant ses partisans rassemblés dans un petit théâtre de Brasilia.

Mais la présidente semble bien isolée, y compris dans son propre camp. Mercredi, la direction du PT a rejeté à une très large majorité sa proposition de consulter les Brésiliens par référendum sur l'organisation d'élections anticipées au cas où elle serait rétablie dans ses fonctions par le Sénat.

Sa probable destitution mettrait fin à 13 ans de gouvernements du PT, fondé par son mentor politique, l'ex-ouvrier devenu président Luiz Inacio Lula da Silva (2003-2010).

Lula a incarné un Brésil en plein boom socio-économique, qui a sorti près de 40 millions d'habitants de la misère, à la faveur d'un cycle économique favorable et de programmes sociaux. Il est aujourd'hui inculpé pour "tentative d'entrave à la justice" dans l'affaire Petrobras.

Le "miracle" brésilien est révolu. Après la première élection de Mme Rousseff en 2010, quatre années de piètre croissance ont suivi pendant que les déficits publics explosaient.

Le Brésil est entré en 2015 dans la pire récession depuis des décennies, sur fond d'inflation élevée, d'explosion du chômage, qui frappe désormais 11 millions de Brésiliens, et un déficit budgétaire de plus de 45 milliards de dollars.

M. Temer a profité d'une poussée conservatrice au Parlement à mesure que la grogne sociale montait, pour pousser son grand parti centriste (PMDB) dans l'opposition... et jouer sa carte personnelle.

La crise politique a été envenimée par le scandale de corruption au sein du géant public pétrolier Petrobras qui éclaboussait tout autant le PT que le parti de M. Temer et la majeure partie de l'élite politique.

Les Brésiliens eux-mêmes semblent désabusés: "Je ne sais même pas si Dilma est déjà destituée ou si elle est encore présidente", confie, à Sao Paulo, Miralva de Jesus Santos, couturière au chômage de 58 ans. "Et je ne sais pas non plus si avec ou sans elle, cela fera beaucoup de différence pour nous".

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