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Cologne, voile: les féministes se déchirent autour de l'islam

Quatre mois après les agressions subies par des centaines de femmes à Cologne, et au beau milieu d'une nouvelle polémique sur le voile, les féministes se déchirent autour de l'islam et de sa place dans la société.

"Actuellement, la question de la place de l'islam dans les sociétés occidentales divise les féministes de façon radicale", explique à l'AFP Françoise Picq, historienne du féminisme.

Si les deux camps qui s'opposent mettent en avant la défense des femmes musulmanes, en réalité "ils ne défendent pas les mêmes femmes", selon elle.

Quels sont ces deux camps ?

D'un côté, les féministes historiques. Universalistes, elles sont issues de la gauche et des luttes des années 60 pour l'émancipation (contraception, IVG..). Au premier rang, la philosophe Elisabeth Badinter, militante contre le voile intégral.

Beaucoup ont soutenu la ministre, Laurence Rossignol, attaquée sur les réseaux sociaux par des mouvements anti-islamophobie pour avoir critiqué la mode vestimentaire islamique (ou "pudique"), lancée par des marques occidentales.

- "Laïcité, élément d'oppression" -

L'autre point de vue est incarné notamment par le mouvement anti-colonialiste des "Indigènes de la République". Ainsi qu'une pionnière comme la sociologue Christine Delphy, cofondatrice avec Simone de Beauvoir de la revue Nouvelles questions féministes en 1977.

"Pour elles, la priorité est de défendre les femmes en faisant passer leur culture musulmane et la lutte anti-raciste et anti-coloniale, avant leur volonté féministe" souligne Françoise Picq.

Souvent plus jeunes, actives sur les réseaux sociaux, elles militent notamment pour l'accès au marché du travail des femmes voilées, et pour la liberté de porter un voile.

Dans cette sphère, la laïcité est perçue comme "un élément d'oppression", relève Mme Picq.

Un mouvement de "féministes islamiques" revendique en outre une réinterprétation féministe des textes religieux et du Coran, déclare à l'AFP Fatiha Ajbli, sociologue, habitant à Villeneuve d'Ascq (Nord).

"Nous avons des groupes de réflexion aux quatre coins de la France, on travaille sur les textes avec des femmes qui ont des formations en théologie, loin des projecteurs, pour réhabiliter le discours de l'égalité hommes-femmes" ajoute-t-elle.

Femme, musulmane, voilée et titulaire d'un doctorat, Mme Ajbli s'estime "rejetée" par "le féminisme mainstream en France", et "contestée" en sa qualité de "femme émancipée": "En France, le féminisme a grandi sur une contestation du religieux" dit-elle.

Les dissensions ne datent pas d'hier. Et se cristallisent toujours autour du voile depuis 2004, avec la loi interdisant le port de signes religieux ostentatoires à l'école.

Depuis le début de l'année, les clivages se sont accentués. En Allemagne, le parquet de Cologne a reçu près de 1200 plaintes pour des vols et violences survenus la nuit du Nouvel An, attribués à des hommes majoritairement venus du Maroc ou d'Algérie. Moins de la moitié de ces plaintes, soit 492, font référence à des agressions sexuelles.

- "Extrême-droite musulmane" -

La réaction la plus retentissante est venue d'un homme: l'écrivain-journaliste algérien Kamel Daoud qui a dénoncé dans le New York Times, le Monde et la Reppublica le "rapport malade à la femme, au corps et au désir" entretenu selon lui par une bonne partie des hommes du monde arabo-musulman.

"Le sexe est la plus grande misère du monde d'Allah", où la femme est "niée, refusée, tuée, voilée, enfermée ou possédée", a-t-il affirmé.

Pour ces mots, l'écrivain a subi les foudres d'universitaires français, l'accusant "d'alimenter" l'islamophobie, en "essentialisant" tout l'islam autour des seuls islamistes.

Il a aussi reçu des soutiens de l'écrivaine franco-tunisienne Fawzia Zouari, du Premier ministre, Manuel Valls. L'éditorialiste Jean Daniel voit en lui un rappel des luttes des premières féministes.

Le fossé entre féministes correspond aux divisions de la gauche française sur l'islam: Laïcs républicains contre défenseurs d'un modèle communautaire, en vigueur dans les pays anglo-saxons.

Mais, alors que certains voudraient faire de "l'obsession du voile" une affaire purement française, le débat, cette fois-ci, s'est élargi à l'étranger.

Selon la sociologue algérienne Marieme Helie Lucas, les agressions de Cologne doivent être vues comme une "préfiguration de la montée de l'intégrisme musulman, comme une nouvelle forme d'extrême-droite musulmane": "Le lien doit être fait entre les attaques contre les femmes en Algérie, en Tunisie, en Egypte, au Mali et celles qui se sont passées en Europe".

- "La liberté (..) c'est la jouissance" -

Djemila Benhabib, auteure de "Après Charlie, laïques de tous les pays mobilisez-vous" a renvoyé à leurs chères études la poignée d'étudiant(e)s qui ont récemment voulu "démystifier" le voile en lançant un provocateur et très commenté "hijab day" à SciencesPo Paris.

Selon elle, pour obtenir une réelle émancipation des femmes en islam, il faut d'abord ouvrir beaucoup de chantiers qui n'ont rien à voir avec le voile: De l'héritage à la contraception en passant par la polygamie, la répudiation ou la violence conjugale.

Dans un essai, "Sortir du manichéisme" (Editeur Michel de Maule), Martine Storti, présidente de Féminisme et geopolitique, tente de jeter des ponts entre les deux camps:

"L’émancipation des femmes n’est ni une donnée de l’Occident, ni l’autre nom du néo-colonialisme", dit-elle en relevant que la conquête des droits des femmes est le résultat d'une "histoire".

"Les Occidentales aussi ont dû affronter leurs Eglises, leurs partis politiques, leurs pères, leurs frères, leurs camarades. Elles ont dû faire face aux opprobres, aux injures, aux stigmatisations, aux refus déguisés en +plus tard+, en +ce n'est pas le moment+.", pour conquérir leur indépendance, a-t-elle écrit.

"Sur le sujet du voile, ce n'est pas l'enjeu de laïcité qu'il faut mettre en avant, c'est l'enjeu de liberté, et la liberté, c'est le corps, le sexe. La jouissance".

D'autres tentent des méthodes de militantisme plus classiques mais difficiles à mettre en oeuvre dans le climat passionnel autour du voile.

Ainsi Fawzia Baba-Aissa, généticienne et enseignante chercheuse de 56 ans, qui dirige le "Fonds pour les Femmes en Méditerranée" prépare une rencontre ce printemps de responsables d'associations de femmes de banlieue, certaines pro-voile, d'autres anti.

"C'est clair qu'il y a vraiment une profonde division des féministes, et qu'il faut retrouver le débat en toute sérénité" dit-elle à l'AFP.

Elle a l'espoir de trouver un moyen de "réconcilier tout le monde" par la discussion.

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