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Crise du gouvernement: la "Suédoise kamikaze" aura mis plus de quatre ans à exploser

On l'avait surnommée "kamikaze". La coalition inédite de centre-droit, formée à l'automne 2014 de trois partis flamands (N-VA, CD&V et Open Vld) et du seul MR, sorti second des urnes côté francophone, a fini par exploser samedi, à six mois de la fin de la législature.

Peu y croyaient lorsque apparurent les premières rumeurs de constitution d'une telle alliance quelques jours après les élections de mai 2014 qui avaient consacré la N-VA au nord du pays. Charles Michel avait pourtant indiqué que jamais il ne s'associerait à la N-VA, un parti aux "relents racistes". Mais la déferlante nationaliste au nord du pays et la course aux majorités qui s'en suivit au sud du pays ont conduit le MR à changer son fusil d'épaule. Fort d'avoir pu convaincre le parti de Bart De Wever de laisser l'institutionnel au frigo, Charles Michel a alors pris les rênes d'un attelage "jobs jobs jobs" mettant l'emploi au cœur de son action politique. Au final, près de 200.000 emplois auront été créés durant la législature, l'opposition et les syndicats y voyant un effet partiel de la conjoncture internationale.


Bart De Wever choisissait de ne pas monter personnellement dans le gouvernement

Parti charnière de cette coalition, le CD&V préféra au poste de Premier ministre celui de commissaire européen, qui revint à Marianne Thyssen. Quant à Bart De Wever, peu enclin à se mouiller à la tête d'une équipe fédérale, il préféra miser sur la ville d'Anvers, d'où il agirait en coulisses. D'orientation économique, ce gouvernement inédit de coalition dite "suédoise" (en référence au drapeau de ce pays: bleu libéral, jaune nationaliste flamand et croix des chrétiens-démocrates) débuta son action de façon chaotique, emporté par des questions identitaires.


Le PS déchaîné dans les premiers mois d'existence du gouvernement

Sorti premier parti francophone à la Chambre, le PS prit la tête d'une opposition démontée contre cette alliance sulfureuse. Épinglés, le chef de file nationaliste au gouvernement, Jan Jambon, et le secrétaire d'État à l'Asile et la Migration, Theo Francken, durent s'expliquer pour différents propos tenus sur la collaboration, la plus-value des migrations ou l'homosexualité. La participation de Theo Francken à la fête d'anniversaire d'un ancien collaborateur des nazis pendant le Seconde Guerre mondiale, Bob Maes, ne fit qu'amplifier la bronca.


Lancement de réformes, opposition stérile des syndicats

Le gouvernement s'attela à la mise en place de son vaste chantier de réformes économiques basées sur la volonté de soutenir, par une réduction de la fiscalité et des cotisations sociales, les entreprises exportatrices. Dans le même temps, il s'engageait dans l'assainissement des finances publiques, promettant de réduire les dépenses publiques et de ramener le budget à l'équilibre. Repoussant l'âge légal de la pension à 66 ans en 2025 et 67 ans en 2030, il flexibilisait le marché du travail. Jugées inéquitables, nombre de ces réformes ont suscité la grogne des syndicats qui ont multiplié les manifestations. Mais peinant à se rassembler en front commun, alors que le seul syndicat socialiste FGTB était privé de relais gouvernementaux, le mouvement finit par s'essouffler. Le syndicat chrétien veillait par ailleurs à ce que le gouvernement confirme, en vain, l'engagement cher au CD&V de sauver son véhicule financier Arco, emporté dans la débâcle de Dexia.


Tax shift

Le gouvernement procédait à un glissement fiscal, un "Tax shift" de réduction de charges, bénéfique aux employeurs et au pouvoir d'achat. Mais entre-temps, il avait réalisé un saut d'index qui, en dépit de mesures correctrices, passa très mal chez les travailleurs. Son programme de réformes structurelles permit au gouvernement de convaincre la Commission européenne du bien fondé de sa mission même s'il dut se résoudre à renoncer au retour à l'équilibre budgétaire, le déficit repartant à la hausse.


Attentats de Bruxelles

Le 22 mars 2016 fut un jour funeste pour la Belgique, frappée par les attentats de Bruxelles et Zaventem. Le recueillement fut l'occasion d'un rassemblement national qui marqua une pause dans l'agitation parlementaire. Le gouvernement prit des mesures de rattrapage des investissements dans les politiques régaliennes et dans l'anti-terrorisme. Cependant, les propos et comportements du ministre de l'Intérieur Jan Jambon ranimèrent la tension. Assurant qu'un nombre significatif de musulmans avaient dansé après les attentats, le ministre N-VA pointa aussi du doigt la responsabilité d'un officier de police belge en Turquie qui aurait tardé à réagir après l'interpellation par les autorités turques d'un djihadiste impliqué dans les attentats de Bruxelles. Ce policier sera blanchi par une commission d'enquête parlementaire.

Après les attentats, le Premier ministre Charles Michel refusa les démissions des ministres de la Justice et de l'Intérieur. Face à la décrépitude de son département, le ministre de la Justice Koen Geens (CD&V) s'est lui attaqué à de vastes réformes des codes et des institutions. Des nominations ont été promues dans la magistrature mais la faiblesse des moyens engagés ne permet toujours pas de combler l'arriéré et les voix s'élèvent dans l'appareil judiciaire pour dénoncer une mise à mal de la Justice.


Le sulfureux Theo Francken

Un personnage au sein du gouvernement aura marqué cette législature: le secrétaire d'État à l'Asile et la Migration Theo Francken, dont les tweets clivants n'auront cessé d'alimenter la polémique. Recadré à plusieurs reprises par Charles Michel, il sera finalement l'élément déclencheur de la crise gouvernementale finale. Avant cela, les épisodes le plaçant au cœur de la controverse ne manquèrent pas, avec au paroxysme la "crise soudanaise" qui vit les expulsions vers ce pays gelées en raison d'allégations de torture. La migration fut un élément catalyseur de l'agitation gouvernementale. Après le drame qui vit la fillette kurde Mawda tuée par un tir policier fin 2017, le président de la N-VA Bart De Wever engagea la responsabilité des parents, suscitant une nouvelle salve de protestations. Secoué sur ses bases, le MR finit par provoquer la mort d'un projet de loi sur les visites domiciliaires, alors que l'hébergement de migrants par des citoyens connaissait un succès grandissant au départ de l'action menée au parc Maximilien. 

A deux reprises, le MR fut contraint de changer son casting ministériel, Jacqueline Galant et Hervé Jamar s'empêtrant dans une gestion de leurs départements jugée trop légère. Personnalité atypique, Marie Christine Marghem connut également un parcours compliqué, gérant avec difficulté la transition énergétique, en l'absence d'un soutien ferme de l'ensemble des partenaires gouvernementaux. De longs débats avec l'opposition accompagnèrent la prolongation des réacteurs Doel 1 et Doel 2.


La réforme des pensions

En dépit des échanges agités qui marquèrent la législature, le gouvernement aura réussi à engager nombre de réformes, dont certaines restent cependant inachevées. En matière de pensions, il manque le volet pénibilité permettant aux travailleurs exerçant les fonctions les plus difficiles de quitter le marché du travail anticipativement sans conséquence sur le pouvoir d'achat. Le "jobsdeal" censé conclure la politique d'emploi, en faisant se rencontrer les demandes et les jobs non pourvus, reste en suspens. Il était notamment question d'accroître un peu plus la dégressivité des allocations de chômage. D'autres projets conclus par le gouvernement engageront eux les prochaines législatures. C'est le cas de l'achat de 34 avions F-35, épilogue d'une saga qui marqua également l'action du gouvernement. Au final, la suédoise se conclut comme elle avait débuté: les enjeux identitaires ont repris le dessus.

En 2014, la N-VA était gonflée par l'apport de recrues et d'électeurs venus du Vlaams Belang. Les élections communales de 2018 ont montré une N-VA perdant des plumes au profit du parti d'extrême droite. S'en est suivie une radicalisation fatale à Michel I.

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