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Fraude fiscale: au procès Wildenstein, les mots pour ne pas le dire

Être "propriétaire", qu'est-ce-que cela veut dire? Quel rapport entre la "holding" et le "trust"? Pourrait-on changer d'interprète, monsieur le président? Au procès de la riche famille Wildenstein, face à la fraude fiscale, le tribunal et les prévenus ne parlent pas la même langue.

Huit personnes, des héritiers de la lignée milliardaire de marchands d'art, leurs conseillers et deux sociétés, comparaissent jusqu'au 20 octobre pour fraude fiscale et blanchiment aggravé.

Mercredi, l'audience reprend sur un incident qui illustre la difficulté, pour un tribunal correctionnel français, d'appréhender une fortune mondialisée.

Les milliards d'euros des Widenstein voyagent entre Paris et New York, entre un avocat zurichois et une société bahamienne, entre un ranch au Kenya, des chevaux en Irlande et des tableaux de maître aux quatre coins des paradis fiscaux.

L'avocat de la Royal Bank of Canada Trust Company (RBCTC), qui gère de discrètes sociétés-écran ou "trusts" aux Bahamas, propose au tribunal un nouvel interprète français-anglais, plus rompu au jargon financier que celle déjà présente.

Ce nouvel interprète est payé par la défense, et donc, indirectement, par le prévenu.

L'avocat du fisc, qui réclame plus d'un demi-milliard d'euros aux Wildenstein, ne goûte guère le procédé. "Je ne trouve pas cela opportun pour la manifestation de la vérité", lance la procureure.

Le tribunal passe outre et le nouvel interprète prête serment.

Dans ce procès où l'on parle anglais, français, franglais, allemand ou russe (pour une veuve rebelle du clan Wildenstein), le président Olivier Géron reproche constamment aux prévenus de "jouer sur les mots".

- "C'est simple comme question" -

Par exemple à Peter Altorfer. L'avocat de Zurich est "protecteur" des "trusts" Wildenstein: il veille aux intérêts de la famille.

Tout raide qu'il soit, le grand Suisse n'arrive pas à contenir des gestes d'agacement face aux questions insistantes sur son rôle "concret" dans diverses sociétés.

"J'analyse de quelle manière remplir au mieux mon rôle de protecteur", dit-il. Le président se fâche: "Vous devenez membre d'un conseil d'administration, je vous demande comment. C'est simple comme question".

Si les questions sont simples, les montages financiers mis en place par les Wildenstein sont eux affreusement complexes.

Exemple: un avion privé, vendu en 2003. Il appartenait à une société possédée par deux héritiers Wildenstein. Cette société était détenue par une autre société. Elle-même propriété d'une troisième société, une "holding". Cette dernière étant logée dans un "trust".

Ce "trust" était administré par la Northern Trust Fiduciary Services (NTFS), basée à Guernesey et poursuivie. Voilà sa représentante, brushing impeccable et tailleur bleu marine.

Le président lui demande: "Étant donné que vous êtes propriétaire de la +holding+, par un abus de langage que j'assume, on peut donc dire que les sociétés qui appartiennent à la +holding+ entrent dans le patrimoine du +trust+?

- En vertu des lois de Guernesey les actifs du +trust+ ce n'est que la holding. Les actifs des sociétés sous-jacentes appartiennent aux sociétés sous-jacentes", répond la représentante de la NTFS.

Le débat se fait plus compréhensible autour du "Delta trust", administré par la Royal Bank of Canada Trust Company (RBCTC), aux Bahamas.

Sur le papier, le "trust" détient des tableaux pour 875 millions d'euros, notamment des aquarelles de Bonnard et un Caravage.

Dans les faits, le marchand d'art Guy Wildenstein, principal héritier et principal prévenu du procès, dispose des toiles et les vend. Dans un mécanisme absurde, la galerie des Wildenstein facture pour chaque toile vendue une commission au "trust" des Wildenstein.

Le "trust" s'appuie par ailleurs sur les toiles pour faire des crédits et distribuer ainsi des millions d'euros aux divers héritiers: un "système bien rodé", selon l'un d'eux, Alec Junior.

Il a aussi fallu attendre 2014 pour que les administrateurs du "trust" réalisent que "leurs" toiles avaient été dispersées peu avant la mort en 2001 du patriarche Daniel Wildenstein.

Où sont aujourd’hui les tableaux? "Un tiers aux États-Unis, un tiers en Suisse, un tiers en Asie.

- En Asie? C'est un peu vague...

- A Singapour", dit le représentant de la RBCTC. La Suisse, Singapour: deux places fortes de l'évasion, ou au moins de la discrétion fiscale.

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