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Les confessions d'un ancien recruteur, autoproclamé "imam" en prison: "J'en ai retourné des cerveaux"

A 18 ans, Christopher (nom d’emprunt) a été envoyé dans un établissement pénitentiaire parisien pour meurtre. Pendant plus de 20 ans, il a d’abord été chef de bande avant de se radicaliser pour devenir imam autoproclamé et retourner les cerveaux de nombreux détenus.

"Les surveillants m’appelaient Ben Laden... J’en ai retourné des cerveaux", évoque fièrement Christopher (nom d’emprunt) dans un article du site StreetPress. A 37 ans, il tire ses derniers jours en semi-liberté. Il travaille la journée et dort en prison la nuit. Pendant son incarcération, son quotidien était fait de prêches et d’entraînements sportifs intenses. Il détaille ses méthodes d’endoctrinement : "Il faut attendre, prendre son temps, rentrer dans la tête du gars. Le djihad, c’est la dernière étape du processus". 

Derrière les barreaux, il s’est rapidement affirmé pour devenir chef d’un groupe de détenus radicalisés. La bande des Frères Musulmans apporte un sentiment de sécurité et une aide considérable. Vêtements, baskets, nourriture, tapis de prière,... Une aubaine pour beaucoup de prisonniers. "La Pénitentiaire considérait que j’avais une habilité à fédérer des gens et les envoyer vers un objectif commun", explique Christopher. Selon Ahmed El Hoummass, surveillant à la prison de Fresnes pendant 11 ans, il y a une recrudescence de la foi en prison. "Ils savent que, s’ils sont là, c’est qu’ils ont fauté à un moment. Ils cherchent le pardon".


Changement radical

Progressivement Christopher s’enfonce dans son radicalisme. Il enlève les meubles de sa cellule et installe des tapis partout. Il décrit ce qu’est devenue sa cellule, véritable salle de prières. "J’avais des photos d’Oussama Ben Laden au mur. Je les avais collées à la super glu pour faire chier les surveillants. La télé, c’était haram. Les femmes nues et la propagande occidentale, c’était là pour te pervertir dans ta foi. Alors je l’ai claquée dans le couloir un jour. Il fallait faire une scène, que ça soit spectaculaire. Tout le monde devait voir".

Au fil du temps, il continue son ascension jusqu’à devenir imam à la place de l’imam. Selon lui, "si tu connais 4 versets, tu es le roi du pétrole. Les gens ne connaissent rien à l’Islam en prison. À ce moment-là, t’es un repère. Le mec en face, il est fasciné par toi. T’as toujours toute ta tête après plusieurs années de placard et en plus t’es intègre. Tu deviens un Dieu pour lui, un Dieu qui l’aide à tenir".


Surnommé Oussama Ben Laden

Christopher se fait appeler "Oussama Ben Laden" par certains surveillants. Conscient de son emprise psychologique sur sa bande, il laisse le sale boulot aux autres. Rapidement, l’imam devient incontrôlable : "On se promenait à quinze en djellaba. Les surveillants appelaient notre étage “Bagdad”. On s’emparait des parties communes. On voulait appliquer la charia dans toute la prison ! On sortait avec nos serviettes et, une fois dehors, on faisait en sorte d’être bien visibles. On montrait que ça n’était pas les surveillants qui nous dictaient leur loi, mais l’Islam et l’heure des prières", commente-t-il. Une parfaite mise en scène pour attirer de nouvelles recrues. L’imam autoproclamé est pleinement conscient de ce qu’il propose : "Tout est question de rhétorique. Tu prends le Coran et tu sors les phrases de leur contexte historique, tu omets des versets. T’en sors l’histoire que tu veux. T’as le livre saint en main, tu connais les pages par cœur, qu’est-ce que tu veux que le type en face objecte ?"

Plus le temps avance, plus Christopher fait tout pour affaiblir psychologiquement ses nombreux adhérents : "Je ne leur laissais pas le temps de souffler avec le sport, les cours d’arabe et de religion, la pression du groupe. Il y a en plus les embrouilles avec les surveillants et l’ambiance pesante de la prison. Tu les épuises les types". Il passe ses journées à les isoler et les enfermer dans son discours. Mais la dernière étape est sans doute la plus difficile : les séparer de leur famille, la dernière attache à leur vie d’avant.


L’ultime palier

Pour beaucoup de détenus, la dernière marche à franchir est trop haute. Progressivement, Christopher lui aussi lâche l’affaire. En 2003, les surveillants l’envoient une énième fois au trou. Mécontent, il décide de brûler son matelas. "Ça arrive régulièrement, c’est pour nous forcer à les sortir de leur cellule", mentionne un surveillant. Mais cette fois, personne ne viendra le sortir. Christopher sera asphyxié et ses jambes seront  brûlées au 3e degré. Pendant six mois, il restera dans le coma.

"J’ai failli mourir, ça fait réfléchir. J’ai décidé de tout arrêter", ou presque. Il décide de continuer à pratiquer son culte seul. Pendant presque dix ans, Christopher se fait plus discret. Il y a un an, il profite d’un aménagement de peine pour se réinsérer. L’homme  trouve un travail à mi-temps comme assistant-metteur en scène et rencontre des gens qui acceptent de lui faire confiance. Aujourd’hui, Christopher se dit anarchiste athée : "La religion, c’est de la merde !"

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