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Les grèves ouvrières de mai-juin 68 n'étaient "pas à la remorque" du mouvement étudiant

Souvent présentées de manière "caricaturale" comme "à la remorque" du mouvement étudiant, les grèves ouvrières de mai et juin 1968 sont le "plus grand mouvement de grève" que la France a connu, explique Xavier Vigna, professeur d'histoire spécialiste du mouvement ouvrier (Université de Bourgogne).

- Quelles sont les caractéristiques du mouvement ouvrier en 1968?

"C'est le plus grand mouvement de grève de l'histoire de France: 3,5 millions d'ouvriers, représentant la moitié des grévistes. C'est un mouvement long, marqué souvent par des occupations, qui commence le 13 mai et qui dure 15 jours, trois semaines, parfois jusqu'à fin juin, soit six semaines.

Il y avait un mécontentement ouvrier. Cela peut paraître saugrenu, mais il y avait une vraie inquiétude sur le chômage, car des branches comme les mines, le textile, la construction navale, étaient en difficulté. Et il y a la pénibilité du travail, car on est dans un moment de rationalisation dans l'industrie, de resserrement des cadences, d'intensification du travail, de transformation des modes de rémunération.

A Caen, dans l'entreprise des compteurs Jaeger, le slogan est: +les compteurs défilent, les ouvrières tombent+. Les salaires sont bas, notamment pour les jeunes, en province. Ce contraste entre la difficulté du travail et la petitesse des salaires entretient la colère. Il y aura une grande diversité des grévistes: hommes, femmes, immigrés, de toutes les générations.

- Comment cela s'est-il imbriqué avec le mouvement étudiant?

La première usine en grève c'est Sud Aviation à Nantes, le 14 mai. Le soir même, des étudiants de l'université font 5 kilomètres pour rejoindre l'usine et certains passent une partie de la nuit à discuter avec les ouvriers.

Cette volonté qu'ont les étudiants de rencontrer les ouvriers, c'est l'idée que les ouvriers, cela compte, c'est eux qui vont décider de l'ampleur du mouvement. Les étudiants restent aux portes, vont dans les réfectoires.... Parallèlement, de jeunes ouvriers vont dans les facs pour discuter, pour draguer aussi, mais aussi parce que la prise de parole est moins contrôlée par les organisations syndicales.

- Dans le récit fait de mai 1968 le mouvement ouvrier a-t-il pris sa juste place?

"On fait de 68 un mouvement essentiellement étudiant et on parle de +mai 68+ alors que les affrontements ont lieu surtout au mois de juin. Le pouvoir gaulliste fait intervenir les forces de l'ordre et les affrontements les plus importants ont eu lieu aux usines Peugeot de Sochaux, où les CRS se déchaînent. Il y a deux morts, et plusieurs blessés très graves. Il y a des affrontements très importants à Flins, à Beauvais...

Ceux à qui l'on donne toujours la parole pour mai 68, ce sont les anciens leaders étudiants comme (Daniel) Cohn-Bendit, Serge July ... Évidemment, ils parlent des étudiants, et en plus ils étaient assez hostiles à la dimension ouvrière du mouvement, car pour eux la grève ouvrière était contrôlée par le PC et la CGT...

On a fait de la grève ouvrière de 68 un +petit mouvement+, purement et simplement à la remorque du mouvement étudiant, et qui n'avait rien à dire. Cette perception est totalement caricaturale."

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