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Mai 68: un "tournant" dans la gestion du maintien de l'ordre

Les forces de l'ordre fonctionnaient jusqu'alors comme "des légions romaines". Sous l'impulsion du préfet de police de Paris Maurice Grimaud, mai 68 a été un tournant dans la gestion du maintien de l'ordre, "humanisée" et comptable de ses excès.

Le 29 mai, alors que les pavés volent dans la capitale et que les blessés se comptent par centaines, le préfet résume dans une lettre le message à ses troupes: "Je veux leur parler d'un sujet que nous n'avons pas le droit de passer sous silence: c'est celui des excès dans l'emploi de la force. Si nous ne nous expliquons pas (...) sur ce point, nous gagnerons peut-être la bataille dans la rue mais nous perdrons quelque chose de beaucoup plus précieux et à quoi vous tenez comme moi: c'est notre réputation".

M. Grimaud "a été un visionnaire de ce qu'il était en train de vivre mais aussi de ce qu'allait devenir la gestion de l'ordre public", estime aujourd'hui auprès de l'AFP Alain Gibelin, directeur de l'ordre public et de la circulation (DOPC) de la préfecture de police de Paris (PP).

"Avant mai 68, on utilisait des méthodes frontales, brutales: il y avait un gagnant et un perdant", rappelle-t-il, "il fallait rétablir l'ordre sans se préoccuper des suites". "Mai 68, c'est une société qui se met en mouvement, le préfet Grimaud comprend que le maintien de l'ordre n'est pas qu'un outil", ajoute Alain Gibelin. "On devient comptable des suites de l'ordre public".

La gestion du préfet Grimaud, 54 ans en 1968, a permis d'éviter la mort de manifestants dans une capitale transformée en champ de bataille.

"C'est une fonction centrale pour la stabilité d'un pays. Si le maintien de l'ordre n'est pas assuré, toute une société peut dériver", renchérit le général Bertrand Cavallier, ancien commandant du Centre national d'entraînement des forces de gendarmerie de Saint-Astier (Dordogne) créé en 1969.

"Après mai 68, il y a eu une réflexion en gendarmerie sur la nécessité d'une formation", explique-t-il. Pour la première fois, "les forces de l'ordre sont confrontées à un mouvement de jeunesse massif et les forces de l'ordre sont confrontées à des mouvements urbains assez violents", souligne le général Cavallier.

"Saint-Astier part du constat qu'on n'était pas apte à faire du maintien de l'ordre en ville", souligne quant à lui le général Georges Philippot, président de la Société nationale de l'histoire et du patrimoine de la gendarmerie.

- "Ni dans les corps ni dans les cœurs" -

Mêmes conclusions au sein des compagnies républicaines de sécurité (CRS): "les unités CRS fonctionnaient comme des légions romaines, relativement statiques. Elles sont devenues plus souples et adaptables", raconte une ancien officier sous le couvert de l'anonymat.

"En 68, les manifestants utilisent aussi l'arme médiatique, un phénomène tout à fait nouveau", souligne le général Cavallier, "l'image devient un enjeu".

Après mai 68, "il y a une volonté d'humaniser le maintien de l'ordre", selon lui. "Un bon maintien de l'ordre ne doit laisser de traces ni dans les corps, ni dans les cœurs", répète Alain Gibelin.

Le matériel et la tenue évoluent aussi. A l'époque, l'uniforme se résume à chemise, cravate, pardessus et chaussures légères. Outre leur arme de poing, les policiers sont munis de boucliers ronds et opaques, de matraques ou de "bidules" (longues matraques de bois).

Après mai 68, les casques sont mieux fixés sur la nuque et équipés de visières, les boucliers deviennent rectangulaires, plus légers et surtout transparents pour une meilleure visibilité.

"L'uniforme et l'homme ne doivent plus faire qu'un", dit-on alors. "Il y a une grande réflexion sur la protection, au risque de modifier la silhouette, de carapaçonner les forces de l'ordre", résume le général Cavallier.

Les véhicules sont également améliorés. Dans les quatre années qui suivent mai 68, les crédits de matériel et d'équipement de la PP sont triplés.

Un demi-siècle plus tard, le ministre de l'Intérieur Gérard Collomb fait encore référence à l'action du préfet Grimaud (aujourd'hui décédé) lorsqu'il s'agit d'évacuer le site occupé de Notre-Dame-des-Landes.

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