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Trente ans requis contre l'aide-soignante empoisonneuse

Trente ans de réclusion ont été requis lundi contre l'aide-soignante accusée d'empoisonnements en série dans une maison de retraite de Savoie, l'avocat général accablant "une tueuse qui agit avec détermination", la défense refusant d'en faire "un monstre".

Cela fait maintenant 10 jours que Ludivine Chambet, 34 ans, est jugée devant la cour d'assises de Savoie pour avoir administré des cocktails de psychotropes, entre septembre 2012 et novembre 2013, à 13 pensionnaires d'un établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) où elle travaillait près de Chambéry. Dix en sont morts.

Comme durant l'enquête et l'instruction, elle a reconnu avoir fait prendre neuroleptiques et antidépresseurs à 11 victimes, niant fermement les deux autres cas. De sa voix de petite fille émanant d'un grand corps massif, immobile dans le box des accusés.

Pour l'avocat général Pierre Becquet, la cause est entendue: "Ludivine Chambet est une tueuse qui agit avec détermination mais pour des motifs obscurs." "C'est difficile de regarder l'horreur en face et le pire serait de passer à côté", a dit le magistrat, qui a longuement déploré la "confusion" et le "flou" entretenus selon lui par la jeune femme et qui "ont pollué" les débats.

"On aimerait bien que Ludivine Chambet nous réponde sur le passage à l'acte. (...) Elle reste désespérément muette", a déploré celui pour qui "le grand absent du procès, c'est Ludivine Chambet elle-même!"

Et de se dresser contre cette femme qui "ose prétendre qu'elle ne voulait pas donner la mort et qu'elle ne se doutait pas qu'elle donnait la mort!" L'aide-soignante a toujours parlé de "soulager" ses victimes, âgées de 76 à 96 ans, mais qui n'étaient pas en fin de vie selon leurs proches.

Le représentant du ministère public, sans concession, est resté circonspect devant l'évocation d'un "transfert de souffrance" de Ludivine Chambet: enfant unique, née prématurée avec un syndrome génétique rare, célibataire et sans enfant, elle avait accompagné jusqu'à la mort, au moment des faits, sa mère atteinte d'une leucémie aiguë.

- "Madame Poisse" -

Selon les experts, la perte de cette mère fusionnelle a dévasté, "amputé" une femme immature psychiquement, déjà dépressive depuis l'âge de 18 ans mais pas une malade relevant de la psychiatrie.

Pour la défense, "cette relation mère-fille est au centre du dossier" et celui-ci est "assez atroce pour qu'on n'ait pas besoin d'ajouter, à l'horreur, de la perversion là où il n'y en a pas!" Prendre en compte cette relation, "c'est insuffisant, ça ne guérit pas et ne résout rien, mais c'est une piste" pour comprendre, a plaidé Me Ségolène Franc.

"Il n'y a pas de monstre ici. Mme Chambet, elle est des nôtres!" a insisté l'avocate, rappelant les 29 années d'avant les crimes de sa cliente, aide-soignante compétente et bien notée par son employeur. Et soulignant aussi l'absence de "projet criminel" de celle qui avait inscrit "Madame Poisse" sur son propre casier, alors qu'elle était systématiquement présente lors des malaises de ses victimes.

Son confrère, Me Thomas Bidnic, s'est livré à une charge contre le réquisitoire du ministère public, dénonçant une "entreprise de falsification" du dossier.

L'avocat a décrit à la cour la réalité de la vie de l'accusée, loin du "tableau idyllique" présenté par l'avocat général: les malformations induites par son syndrome, les opérations chirurgicales, les moqueries de ses camarades de classe, etc.

Il est longuement revenu sur les expertises psychiatriques et psychologiques pour mettre en exergue le manque d'agressivité et l'absence de perversité de Ludivine Chambet, mettant l'accent sur la "résilience" possible de tout être humain.

Citant "L’Étranger" d'Albert Camus et la haine entourant l'exécution de son héros, Me Bidnic a demandé à la cour et aux jurés de "repousser cette haine" pour juger en "toute raison".

Ludivine Chambet encourt la réclusion criminelle à perpétuité. Elle pourra s'exprimer une dernière fois mardi matin avant que la cour se retire pour délibérer. Le verdict est attendu dans la journée de mardi.

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