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"Prenez tout mon sang s'il le faut!": désespérée, une mère amène son enfant blessé aux soldats qui libèrent Mossoul de l'EI

Tremblants et fantomatiques, ils disent revenir de "l'enfer". Ces habitants du vieux Mossoul libérés du joug des jihadistes devant l'avancée de l'armée irakienne, ont échappé à la mort et à la famine, mais pas aux drames et aux traumatismes.

Ils arrivent par petites grappes familiales, jetés par des blindés des forces spéciales irakiennes sur le trottoir d'une avenue poussiéreuse, bétonnée et déserte, n'étaient les quelques soldats et la clinique de fortune chargée de les accueillir.

A quelques centaines de mètres de là, les combats font rage dans leurs quartiers du vieux Mossoul, un dédale millénaire de ruelles et maisons de pierre. L'armée y avance dans les derniers kilomètres carrés encore tenus par des centaines de jihadistes du groupe Etat islamique (EI), encerclés et décidés à lutter jusqu'au bout, c'est-à-dire jusqu'à la mort, au milieu des dizaines de milliers de civils pris au piège.


Une mère amène son seul enfant blessé: "Prenez tout mon sang s'il le faut!"

Un énième blindé arrive sirène hurlante, déversant un couple qui porte un petit corps inerte et ensanglanté. La femme, longue tunique noire et voile rose, s'écroule sur une chaise en hurlant aux soldats: "On vous attendait depuis des mois, pourquoi avez-vous tant tardé ?".

Ses bras sont inondés du sang de son unique enfant, d'environ 6 ans, fauché au détour d'une ruelle de la vieille ville par un tir venu d'on ne sait où. Allongé et soigné par les médecins sur un brancard de la clinique, il est entre la vie et la mort. Sa mère se tape la tête contre un mur. "C'est mon seul enfant, sauvez-le je vous en supplie. Prenez tout mon sang s'il le faut!", crie-t-elle. 

Elle raconte que malgré les menaces de l'EI, elle et son mari avaient décidé de quitter la vieille ville après la mort de deux de leurs proches dans un bombardement. Le petit s'en faisait une joie, gémit sa mère. "Il avait faim, il disait: 'je veux aller dire bonjour aux soldats et qu'ils me donnent des biscuits'".


"Certains vont jusqu'à manger de l'herbe, d'autres des chiens"

Chaque maison reprise permet aux soldats de libérer des civils, terrés chez eux par peur du cocktail meurtrier qui décime la vieille ville: bombardements aériens irakiens et de la coalition internationale, obus et snipers jihadistes qui n'hésitent pas à tirer sur quiconque voudrait s'échapper.

Les civils sont déposés à la clinique une fois leur identité vérifiée. Les soldats y distribuent de l'eau et des biscuits, sur lesquels les enfants affamés se jettent sans retenue, retrouvant un peu de sourire.

Les adultes semblent plus marqués, comme si ce qu'ils décrivent tous comme un "enfer" les avait fait basculer dans une vie parallèle décharnée. "Trop d'innocents ont été tués", crie dans le vide une femme sans âge enveloppée de noir. "On revient de la mort", lâche Amir, 32 ans, le teint gris, qui tremble comme une feuille entre ses fils de 2 et 4 ans, Qoussaï et Hassan. Il montre un vieux gobelet métallique où gît un petit tas de miettes de pain gardé comme un trésor: "Voilà ce qu'on mange depuis des semaines".

Pendant des semaines, Oum Nashwane, la soixantaine chétive, a elle nourri sa famille avec "de la farine mélangée à de l'eau", qu'elle faisait cuire. Le ventre vide, elle ne pensait plus qu'à une chose: "oublier la faim". Les civils "sont terrés dans leurs sous-sol et meurent quasiment de faim", note un officier. "Certains vont jusqu'à manger de l'herbe, d'autres des chiens".

"La plupart souffrent de déshydratation, de malnutrition, les enfants notamment. Les adultes sont souvent hystériques, car ils ont souvent perdu trois ou quatre membres de leur famille", explique Ahmed Diran, un des volontaires à la clinique. "Et le pire est peut-être à venir, dit-il, car plus l'armée avance, plus les civils sont entassés avec les jihadistes dans un nombre réduit de bâtiments, et donc vulnérables".


Une libération sous tension

Déloger l'EI du vieux Mossoul permettra à l'armée irakienne de reprendre le contrôle de la totalité de cette deuxième ville d'Irak tombée en juin 2014 aux mains des jihadistes.

L'accueil des déplacés de la vieille ville ne va pas sans une certaine tension, une partie de la population les soupçonnant de mansuétude voire de sympathie pour l'EI, eux qui auront attendu trois ans pour fuir les jihadistes.

S'y est ajouté l'attentat de jeudi dans un quartier voisin, perpétré par un kamikaze de l'EI infiltré parmi des civils fuyant la vieille ville. Il y a eu 12 morts.

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