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A Calais, la loi de l'école pour oublier celle de la "Jungle"

Agés de 4 à 11 ans, neuf enfants s'engouffrent gaiement dans une salle exiguë décorée de peluches et de coloriages, où ils vont apprendre l'alphabet et des rudiments de calculs. Une classe presque comme les autres... sauf qu'elle se tient dans la "Jungle" de Calais.

Fraîchement inaugurée début février, la fragile structure, qui ne peut accueillir quotidiennement qu'une vingtaine de bambins débarqués avec leurs parents d'Irak, de Syrie ou encore d'Afghanistan, vient s'adosser à la classe pour adultes ouverte dès juillet peu après la création de la "Jungle" elle-même.

"L'éducation est primordiale pour ces gamins, ça leur permet d'oublier leur triste quotidien et de regarder l'avenir: c'est une lumière sur le chemin de la vie", confie à l'AFP Zimako Jones, demandeur d'asile nigérian à l'origine de l'ensemble de ce projet soutenu par l'association Solidarité laïque.

Ce petit homme timide mais perspicace au sourire tenace se veut philosophe: "Qui ouvre une école, ferme une prison!", rappelle-t-il, désignant du doigt une fresque sur laquelle un enfant lit un ouvrage portant cette inscription, traduite en plusieurs langues.

-"Jamais les mêmes enfants"-

Dans la classe, isolée mais pas toujours chauffée, farsi, pachto, arabe s'entremêlent avec l'anglais mais surtout le français, dont les cours rudimentaires sont prodigués par des instituteurs bénévoles de la région.

"A-B-C-D, on fait le chemin avec les doigts!", lance aux neuf enfants présents cet après-midi Sandrine Lescure, 40 ans, professeure des écoles à Boulogne-sur-Mer, qui consacre une demi-journée hebdomadaire de son temps libre pour se rendre à la "Jungle".

Au menu du jour: la recette des crêpes. A l'aide de bols en plastique et de faux aliments, elle servira de base à la découverte de nouveaux mots et des tables de multiplication. Mais après quelques minutes et devant les difficultés rencontrées, l'enseignante change son programme.

"Ils n'y arrivaient pas, j'ai arrêté, il faut s'adapter à leurs besoins. Certains ont des bases différentes, apprennent plus ou moins vite... comme les enfants en France en fait", relate Mme Lescure, l'une des sept professeurs bénévoles.

Si rien ne distingue la décoration de la classe d'une autre maternelle, le contexte ramène rapidement à la réalité. Il y a d'abord ce rituel: en amont du cours, plusieurs bénévoles vont faire du "tente à tente" pour essayer de rameuter des enfants et rassurer les parents, constamment anxieux devant toute forme "d'autorité".

"Il faut aussi s'accrocher en cours car ce ne sont jamais les mêmes enfants", souligne, fataliste, Mme Lescure.

- Instruction obligatoire? -

Malgré toutes ces bonnes volontés, la loi républicaine de l'instruction obligatoire censée garantir à tout enfant de 6 à 16 ans sur le sol français l'accès à l'école n'est pas respectée sur ce territoire où 200 à 300 mineurs, selon les associations, survivent dans des conditions misérables, parmi quelque 4.000 migrants.

"Vous pensez que ces familles, arrivées seules et sans maîtriser la langue, sont capables d'inscrire, toutes seules, leurs enfants à la mairie?", ironise Laurence Bernabeu, l'une des responsables de l'ONG Solidarité laïque.

En face de la classe des petits, entre l'infirmerie et le préau où s'entassent toboggan, cabanes et filets suspendus, se trouve celle destinée aux adultes. Des cours en anglais et français y sont là-aussi dispensés par des enseignants bénévoles.

Entièrement rénovée, désormais équipée d'internet, elle sert principalement de lieu de convivialité. Les sept ordinateurs y sont pris d’assaut et les écrans affichent les comptes Facebook d'amis restés au pays, des vidéos de chanteuses iraniennes ou des sites d'actualité évoquant les derniers combats en Syrie et en Irak, autant de fenêtres ouvertes sur un récent passé douloureux.

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