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A Chypre-Nord, malaise autour d'une imposante mosquée financée par la Turquie

Dans le nord de l'île divisée de Chypre, une imposante mosquée financée par la Turquie, qui doit être inaugurée cette semaine, suscite malaise et colère au sein de la population chypriote-turque, largement sécularisée.

Pour son premier déplacement à l'étranger depuis sa réélection en juin, le président turc Recep Tayyip Erdogan est en effet attendu à Nicosie-Nord où il devrait présider mardi la cérémonie d'ouverture de ce massif édifice à quatre minarets, construit dans un style ottoman classique et capable d'accueillir 3.000 fidèles.

L'île de Chypre est divisée depuis 1974, quand l'armée turque en a envahi le tiers nord en réaction à un coup d'Etat de Chypriotes-grecs voulant la rattacher à la Grèce, qui inquiétait la minorité chypriote-turque.

Aujourd'hui, l'autoproclamée République turque de Chypre-Nord (RTCN) n'est toujours reconnue que par Ankara et les pourparlers en vue d'une réunification sont en suspens depuis l'échec en 2017 de négociations parrainées par l'ONU. Elles ont notamment achoppé sur la question du retrait des quelque 35.000 soldats turcs stationnés sur l'île.

A Nicosie-Nord, même si certains Chypriotes-turcs voient d'un bon œil la colossale mosquée Hala Sultan qui se dresse désormais à la sortie est de la ville, d'autres voient en elle le symbole de l'influence grandissante de la Turquie dans le nord de l'île.

"Elle représente la mentalité islamiste, une mentalité islamiste sunnite et aussi une mentalité impérialiste", déplore Sener Elcil, président du Syndicat des enseignants chypriotes-turcs.

"La société chypriote-turque est sécularisée", explique-t-il à l'AFP. "Nous ne sommes pas des fondamentalistes ni des islamistes".

- "Pas anodin" -

Aucun chiffre officiel n'a été publié mais M. Elcil évalue à plus de 30 millions de dollars le coût de cette mosquée.

"Ils auraient pu construire un grand hôpital ou une vingtaine d'écoles avec moins que ça", dit-il.

Des membres de son syndicat ont manifesté vendredi à Nicosie-Nord sous le slogan "des écoles et des hôpitaux d'abord", déplorant que "priorité soit donnée aux investissements dans la religion".

Les Turcs "veulent construire une mosquée dans chaque rue de Chypre-Nord, c'est la politique d'Erdogan et ce n'est pas anodin", remarque M. Elcil.

Comme lui, de nombreux Chypriotes-turcs de gauche s'opposent à l'hégémonie turque sur le tiers nord de l'île, où vivent quelque 300.000 personnes.

Issu de la mouvance islamiste, Recep Tayyip Erdogan dirige la Turquie depuis 15 ans et ses détracteurs l'accusent de dérive autocratique, en particulier depuis la tentative de putsch de juillet 2016 qui a été suivie de purges massives.

"Erdogan cherche à annexer le nord de l'île pour y forger une identité différente", s'inquiète Izzet Izcan, ancien parlementaire local et fondateur du Parti uni de Chypre (gauche), qui a appelé ses représentants au gouvernement à boycotter la cérémonie d'inauguration.

"Le socle de l'identité chypriote-turque est chypriote", explique M. Izcan à l'AFP. "Nous avons beaucoup en commun avec les Chypriotes-Grecs, les Arméniens et les maronites", des communautés présentes sur l'île.

Mais les Turcs "essaient de faire de nous de bons musulmans, à leurs yeux, et de nous transformer en Turcs purs, tels qu'ils voudraient nous voir", dit encore l'ancien parlementaire socialiste.

"Nous savons tous que, derrière tout ça, (l'objectif) est d'assimiler et d'intégrer le nord de Chypre à la Turquie".

- "Nos ancêtres ottomans" -

Hala Sultan est la pièce maîtresse d'un ensemble de projets financés par la Turquie dans le même secteur près de Nicosie-Nord, incluant également un lycée islamique, plusieurs universités et des résidences pour étudiants, notamment ceux venus de Turquie.

Son nom rappelle celui d'une mosquée de taille bien plus modeste -et bien plus typique de l'île- située dans la partie sud, Halan Sultan Tekke, qui est un lieu de pèlerinage musulman.

Avec ses quatre minarets de 60 mètres, la nouvelle mosquée fait l'admiration de certains.

Ayhan Ankurt, 61 ans, dit avoir passé plusieurs mois à recueillir des signatures pour sa construction: "Tous les jours, je priais pour que cette mosquée soit édifiée".

Avec cet édifice, "nous avons retrouvé notre identité et nos liens avec nos ancêtres ottomans", dit-il.

"Ce genre de bâtiment apporte vraiment un plus à la communauté", estime de son côté Moustafa Tumer, professeur de marketing dans l'une des facultés proches de la nouvelle mosquée.

A quelques kilomètres de là, dans la vieille ville de Nicosie-Nord, Zihni Kalmaz a un autre avis.

"Ces minarets! Ils sont énormes! Et pourquoi y en a-t-il autant?" s'interroge ce commerçant de 75 ans. "Si je veux prier, je peux le faire dans ma boutique. Dieu est là", dit-il en montrant son coeur.

"Si tu veux construire une mosquée, il faut aussi réparer tes écoles. Selon moi, l'école est plus importante".

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