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A Marseille, face au deal et aux armes, les policiers luttent contre un sentiment d'impuissance

"On passe pour des guignols": malgré les centaines d'arrestations et les trafics démantelés, l'irruption lundi d'un commando armé dans une cité, à la barbe des policiers, alimente chez certains fonctionnaires à Marseille un sentiment d'impuissance face au deal.

Dans la nuit de vendredi à samedi, un probable nouveau règlement de comptes a fait deux victimes dans le quartier de l'Estaque. Au total, onze hommes ont été tués dans ce type de crimes dans la cité phocéenne et sa région depuis le début de l'année, contre 14 en 2017 et 29 en 2016.

"J'aime mon métier et je suis fier quand j'arrive à arrêter des trafiquants, même si je ne me fais pas d'illusion: je sais qu'à peine un réseau démantelé, un autre prend sa place", résume un policier de patrouille de nuit, interrogé avant ce nouveau règlement de comptes.

Le buzz autour de la vidéo de la fusillade de lundi cité de la Busserine, captée par un témoin, a renforcé ce sentiment. Le commando n'a pas fait de blessé mais a pu s'enfuir à bord de puissantes berlines après avoir mis en joue des policiers.

Pour le fonctionnaire, si le trafic repousse toujours là où la justice est passée, c'est que "la réponse pénale n'est pas à la hauteur". "Pour éviter d'être démotivé, je ne regarde pas les condamnations (...). Il faudrait que ces personnes prennent 25 ans de prison au lieu de trois et que la peur change de camp".

Même son de cloche du côté des enquêteurs spécialisés dans la lutte contre les "gros poissons" du deal à Marseille, ces bandes armées qui n'hésitent pas à s'entretuer pour le contrôle d'un point de vente.

La piste d'un acte d'intimidation entre deux réseaux est d'ailleurs privilégiée par les enquêteurs pour les faits de la Busserine.

"On peut s'interroger sur le degré de sévérité de la justice", soulève un enquêteur. "Il y a de gros enjeux financiers et certains ne voient l'incarcération, pas toujours très longue, que comme un accident du travail", poursuit-il.

- "Y a pas match" -

Quant au commando de la Busserine, malgré les images impressionnantes, la police marseillaise "en a vu d'autres": "On est organisés, et on est prêts. Plus de 50% des règlements de comptes sont élucidés. Du côté des services d'enquête, on a le personnel et le matériel", souligne ce responsable.

Depuis le début de l'année à Marseille 61 personnes ont été écrouées et 19 réseaux démantelés, selon la préfecture de police.

La fusillade, qui a donné lieu à une avalanche de réactions politiques, a en tout cas apporté de l'eau au moulin des syndicalistes policiers, qui dénoncent un manque de moyens.

"Y a pas match avec ce genre d'individus, ils sont en Ligue des champions et nous en L2. Ils arrivent avec des véhicules surpuissants, des armes de guerre, face à eux on ne peut pas lutter", commente Rudy Manna, délégué départemental du syndicat Alliance.

"Depuis quatre à cinq ans on sent que les malfaiteurs montent en gamme et que nous on stagne ou on régresse", poursuit M. Manna, selon qui l'une des voitures des policiers mis en joue à la Busserine affichait 179.000 km au compteur.

"Ce ne sont pas les 60 policiers supplémentaires annoncés par le ministre de l'Intérieur qui feront la différence" pour juguler le trafic de drogue qui gangrène les quartiers Nord, estime-t-il.

Si les policiers veulent bien apporter "leur pierre à l'édifice", la lutte contre les réseaux "ne peut pas reposer sur leurs seules épaules", abonde de son côté Bruno Bartocetti, responsable régional du syndicat SGP Police FO.

Il pointe "l'abandon" par les politiques de cités où chaque trafic peut générer "entre 30.000 et 60.000 euros par jour", selon lui.

"La justice doit apporter des réponses fermes, mais quand on voit qu'ils n'ont pas peur de mourir jeunes (...) on peut s'interroger", observe le syndicaliste qui appelle les politiques à "plus de courage face à un problème sociétal lourd".

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