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A Uzbeen en 2008, la France redécouvre la guerre

18 août 2008: une embuscade tendue dans la vallée d'Uzbeen, dans l'est afghan, coûte la vie à dix militaires français. Au cœur de l'été, les Français prennent conscience que leurs soldats sont engagés dans un conflit dur, dont l'impopularité ne va cesser de grandir.

Attendus par une centaine de talibans embusqués sur les crêtes et bien armés, une trentaine de soldats en mission de reconnaissance livrent un combat acharné pendant plusieurs heures.

Le tragique bilan - dix tués - huit soldats du 8e RPIMa, un soldat du Régiment de marche du Tchad et un infirmier du 2e REP et 21 autres blessés - est l'un des plus lourds jamais essuyés par l'armée française dans une action de combat depuis la fin de la guerre d'Algérie, avec l'embuscade de Bedo au Tchad, en octobre 1970 (douze militaires tués).

La nouvelle fait l'effet d'un électrochoc. "Afghanistan: la France dans la guerre", titre Le Monde daté du 21 août 2008.

"Cet accrochage nous ramène à la réalité des actions de guerre (...) La Nation dans son ensemble vient de prendre conscience qu’envoyer des militaires en opération comporte toujours des risques", commente le chef d'état-major des armées, le général Jean-Louis Georgelin.

"A ce moment là, les autorités politiques et militaires réalisent que les Français ont oublié que leurs soldats faisaient la guerre, tuaient et pouvaient mourir", explique à l'AFP l'historienne Bénédicte Chéron, spécialiste des relations entre armée et société.

"Ce qui semble évident pour les militaires ne l'est vraiment pas à l'époque pour l'opinion publique, pour qui ces jeunes victimes sont des enfants, pas des combattants", souligne l'auteur de l'ouvrage "Le soldat méconnu. La place de l'armée dans notre société" (Armand Colin).

Le drame braque les projecteurs sur un conflit jusqu'alors peu médiatisé. En quelques mois, des dizaines de journalistes français affluent en Afghanistan. "A partir de septembre 2008, on assiste à un retour des images combattantes à la télévision", analyse Bénédicte Chéron.

Après Uzbeen, le gouvernement ordonne le déploiement de moyens militaires supplémentaires, dont des drones, des hélicoptères et des équipements individuels. La polémique perdure toutefois sur les carences de l'armée française, dont le commandement a "péché par excès de confiance", de l'aveu du patron des troupes françaises en Afghanistan, le général Michel Stollsteiner.

- Opinion hostile -

En 2009, les familles de sept victimes d'Uzbeen déposent plainte pour déterminer "d'éventuels manquements dans la chaîne de commandement". Le dossier sera classé sans suite.

L'embuscade attise parallèlement le débat sur la pertinence de l'engagement français en Afghanistan, où les résultats de la coalition internationale peinent à convaincre.

Selon un sondage réalisé après l'embuscade, 55% des Français sont opposés à la présence de troupes françaises, contre 55% d'opinions favorables en octobre 2001, au début du déploiement des forces internationales dans le pays. L'hostilité des Français à l'égard de l'engagement afghan ne cesse ensuite de croître : 64% se disent contre en août 2009, 76% en août 2011.

Fin 2012, les dernières troupes combattantes françaises se retirent. Entre 2001 et 2014, plus de 70.000 soldats français auront été déployés sur le théâtre afghan. 89 d'entre eux y périront, 700 en reviendront blessés.

Au-delà du seul épisode d'Uzbeen, la violence des affrontements en Afghanistan pousse l'armée à s'adapter.

"L'engagement français en Afghanistan marque une évolution majeure pour les armées françaises", qui "ont gagné en maturité au combat", fait valoir Gilles Chevallier dans le "Dictionnaire des opérations extérieures de l'armée française" (Nouveau Monde, 2018).

"Les ondes de choc d'Uzbeen amènent certaines composantes à accélérer leur aggiornamento", analyse le colonel Renaud Senetaire dans la revue Fantassins : "En quelques années le service de santé des armées se transforme pour s'adapter à la dureté des engagements, les effets de protection balistique se généralisent, l'intégration interarmées devient la norme".

Ainsi, conclut-il, "au moment du déclenchement dans l'urgence des opérations Harmattan (Libye, 2011) et Serval (Mali, 2013), les armées françaises seront prêtes aux scenarii les plus exigeants".

A partir de la fin des années 2000, les militaires prennent également mieux en compte les blessures psychiques. En 2009, le premier "sas" de décompression pour les soldats de retour de mission voit le jour à Chypre.

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