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Afrique du Sud: un double meurtre raciste ressuscite les fantômes du passé

Début janvier, dans la campagne sud-africaine, deux ouvriers de ferme noirs sont pourchassés et battus à mort par des fermiers blancs. Un mois plus tard, deux mondes s'affrontent dans un procès qui ravive les tensions raciales d'une Afrique du Sud à fleur de peau.

Dans le box des accusés du petit tribunal de Parys, dans la province rurale de l'Etat-Libre (centre), quatre fermiers blancs se serrent pour répondre aux charges de double meurtre qui pèsent sur eux. Ils sont accusés d'avoir tué, le 6 janvier dernier, Seun Tangasha et Samuel Tjexa, deux ouvriers noirs de 29 et 35 ans.

Racisme, crime, pauvreté et possession des terres: le cocktail des problèmes de la "nouvelle Afrique du Sud" post-apartheid est réuni dans cette affaire qui embrase la communauté.

Devant le tribunal, deux groupes bien distincts s'invectivent. Deux cents manifestants noirs chantent "Tuez les boers, tuez les fermiers", à un groupe de Blancs venus défendre leurs collègues et arborant fièrement les drapeaux d'anciennes républiques afrikaners du début du XXe siècle.

La police a dressé un cordon de barbelés pour séparer les manifestants pro-fermiers de leurs rivaux.

Pour de nombreux Noirs sud-africains, ce procès met en lumière la réalité quotidienne de travailleurs qui se disent exploités et maltraités par des fermiers blancs accusés de ne pas hésiter à former des milices punitives.

Pour de nombreux Blancs, c'est le symbole d'un quotidien où, plongés dans la peur, ils doivent combattre les attaques régulières de leurs propriétés.

"Ces fermiers doivent être condamnés à la prison à vie", estime Anna Jubeba, la tante de Seun Tangasha, depuis sa minuscule maison dans le township en périphérie de Parys. "Les tribunaux voient ces types tuer des Noirs, mais ils les laissent sortir sous caution car ils sont blancs. Personne n'est venu nous aider, la police n'est même pas venue chez nous", ajoute-t-elle.

- 'Laissés pour mort' -

Selon le rapport de police, Seun Tangasha et Samuel Tjexa se sont rendus le 6 janvier dans la ferme isolée de Lodewikus van der Westhuizen, pour lequel ils travaillent, afin de lui réclamer leurs 20.000 rands (1.130 euros) de salaire impayé.

Devant le refus du patron, les deux hommes l'auraient alors frappé à la tête avec la crosse d'un pistolet avant que le fermier ne déclenche l'alarme et alerte ses voisins.

S'ensuit alors une chasse à l'homme entre les deux ouvriers noirs, à pied, et 40 à 60 voitures de fermiers blancs, à travers les pistes rectilignes et les champs de maïs de la région.

"Les fermiers ont rattrapé Tjexa et Tangasha à huit kilomètres de la ferme de Van der Westhuizen. Les deux hommes ont ensuite été battus et laissés pour mort", indique la police dans un communiqué.

Seun Tangasha a été déclaré mort à son arrivée à l'hôpital. Samuel Tjexa est décédé peu après.

Dans le box des accusés figurent Boeta van der Westhuizen, le fils du fermier agressé, son cousin Anton Loggerberg et deux voisins, Stephanus et Johannes Cilliers.

Un policier, Hendrick Prinsloo, est également inculpé: il aurait participé au passage à tabac des deux victimes au lieu de leur porter secours.

"Nous devons montrer que nous soutenons les accusés, à cause de toutes ces attaques de fermes. Les fermiers sont constamment tués, un génocide est en cours", assure devant le tribunal Andre Pienaar, un consultant spécialiste de la sécurité des fermes, vêtu d'un treillis para-militaire.

Selon Afriforum, un lobby afrikaner, un record de 64 fermiers et ouvriers de ferme - blancs et noirs - ont été tués l'année dernière en Afrique du Sud dans 318 attaques, des chiffres que la police n'a pas souhaité confirmer.

- 'La vérité doit éclater' -

"L'année dernière, l'Afrique du Sud a connu un pic d'attaques de fermes, mais ça n'excuse pas le fait que ces gars soient morts. La vérité doit éclater", assure auprès de l'AFP Kobus Dannhauser, le chef du syndicat des agriculteurs de Parys.

"Ce n'est pas une question de racisme. Si c'était le cas, les fermiers auraient tué dix Noirs. C'est soit une dispute salariale, soit une attaque de ferme", poursuit-il depuis sa ferme de 10.000 hectares.

A contrario, le secrétaire régional de l'ANC, le parti au pouvoir qui soutient les manifestants noirs, évoque "une question de racisme établi dans la communauté agricole et de mauvais traitements de nos ouvriers". "Tous les grands fermiers sont blancs. Une réforme est nécessaire", ajoute-t-il.

Alors que la foule se disperse, les manifestants des deux camps devraient se retrouver dans deux mois devant le tribunal de Parys: la cour a prolongé la libération sous caution des suspects, le procès est ajourné au 15 avril.

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