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Après une série de scandales, la présidente de Mc Donald's au Japon doit se prosterner publiquement: "La courbette doit être le plus proche possible des 90°" (photos)

Imaginez que vous dirigiez une grosse filiale occidentale au Japon coupable d'une faute ou au coeur d'un scandale. Que faire ? Convoquer les médias. Présenter maintes excuses et, le summum, se prosterner devant les caméras. C'est ce qui est arrivé récemment à Sarah Casanova, la présidente canadienne de McDonald's Japon, forcée de faire publiquement, et platement, acte de contrition après une série d'esclandres ayant éclaboussé la réputation du géant de la restauration rapide. Comme la découverte d'une dent humaine dans ses frites.

Confuse d'avoir causé "une grande inquiétude" à ses clients, Mme Casanova a donc dû exécuter - sous des regards goguenards - ce must de la communication de crise au Japon, un rituel qui ne trompe personne mais à la chorégraphie immuable:

- Règle N°1: il faut porter des couleurs sombres, prendre un air de circonstance, c'est-à-dire lugubre, et proférer abondance d'excuses.

- Règle N°2: s'incliner profondément, si possible à angle droit, avec toute la souplesse requise sous peine de passer pour un clown.

- Règle N°3: oublier primes et bonus pour l'année en cours. Une réduction de salaire temporaire ou le renoncement à un bonus sont bien vus. Pour les hauts cadres de l'entreprise aussi.

- Règle N°4 et 5 (suivant les circonstances): démissionner sur le champ ou, plus fréquent, prendre du recul et refiler la patate chaude à un nouveau PDG. Promettre des changements radicaux pour éviter d'autres scandales.

Le plus proche possible des 90°

"Cela fait partie d'un phénomène culturel plus large au Japon où le chef prend les coups pour son équipe. Ensuite, la vie continue", explique Jun Okumura, un analyste indépendant. De fait, l'Archipel est un pays où il existe une bonne dizaine de différentes manières de présenter des excuses. En l'occurrence, tout est dans l'art du geste. "La courbette doit être le plus proche possible des 90°", souligne M. Okumura.

Certains rient encore d'un groupe de dirigeants de l'industrie pharmaceutique, contraints de demander pardon pour avoir livré des produits sanguins contaminés et qui, à force de se pencher, étaient tombés sur les genoux et s'étaient égratigné le nez.


On offre "les têtes des dirigeants humiliés" sur un plateau de télé

En fait, il ne s'agit pas tant de convaincre l'opinion publique de l'authenticité des regrets que de lui offrir les têtes de dirigeants humiliés sur un plateau (de TV). "La grande différence est qu'en Occident ce sont les faits matériels (reprochés) qui comptent. Mais au Japon, les journalistes mettent l'accent sur les excuses des chefs", observe Mitsuru Fukuda, professeur de gestion et de communication de crise à l'université Nihon de Tokyo.

"A moins d'entendre des excuses de vive voix, les Japonais considèrent que la démarche manque de sincérité", renchérit Yasuyuki Mogi, spécialiste de la communication d'entreprise. Même si chacun sait que ce cérémonial est largement formel.

Un salaire réduit de moitié pendant plusieurs mois

Au delà des mots - "Fukaku owabi moshiagemasu" ("J'exprime nos plus profondes excuses") - il faut d'ailleurs payer souvent de sa personne, au propre comme au figuré. Ainsi, le directeur du fabricant de pièces d'automobiles Takata, déconsidéré après une affaire d'airbags défectueux qui auraient entraîné des accidents mortels, a réduit son salaire de moitié pendant plusieurs mois.

En revanche, les patrons étrangers expatriés au Japon, en particulier anglo-saxons, ne sont guère à l'aise avec cette "culture de l'excuse" et du sacrifice.

"Les PDG américains sont généralement des mercenaires qui marchandent leur expertise au plus offrant. Ce n'est pas le genre de milieu qui conduit à se sacrifier pour la compagnie", relève l'analyste Jun Okumura.

A l'inverse, les chefs d'entreprise japonais ont souvent dû gravir tous les échelons internes pour parvenir au sommet et sont bien moins rémunérés que leurs homologues étrangers.


Cela ne fontionne pas toujours

Cela dit, même parfaitement maîtrisé, l'art expiatoire de la courbette ne sauve pas nécessairement un mauvais produit ni ne restaure obligatoirement la confiance. "Si vous êtes dans le secteur de l'alimentation et que vos produits laissent à désirer et sont considérés comme mauvais pour la santé, il n'y aura jamais de courbettes assez basses pour améliorer ce qui reste foncièrement immangeable", tranche Jeff Kingston, professeur d'études asiatiques à l'université Temple de Tokyo.

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