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Au procès de la filière jihadiste de Cannes-Torcy, les mystères des convertis

Un accusé a eu une "révélation", un autre a fait "comme tout le monde". La conversion à l'islam est décrite comme une évidence, sans jamais être vraiment expliquée, au procès de la filière jihadiste dite de Cannes-Torcy.

Sur les vingt hommes qui comparaissent depuis jeudi devant les assises de Paris pour un attentat à la grenade contre une épicerie casher en septembre 2012, des projets d'attaque contre des militaires et des départs en Syrie, près de la moitié sont des convertis.

Jérémy Bailly, 29 ans, considéré comme le numéro 2 de la filière, avait expliqué pendant l'enquête sa conversion par un "choc spirituel" face à la nature : il aurait eu "mal au cœur en tuant un poisson".

Un élan positif qui le structurait, a-t-il dit à la barre, après un passé de petit délinquant "fumeur de shit", puis un passage chez les Témoins de Jéhovah.

Elvin Bokamba-Yangouma, 30 ans, issu d'une famille congolaise chrétienne, a découvert l'islam "en tombant sur un blog sur le site de (la radio) Skyrock", puis en parlant avec Jérémy Bailly, un copain et partenaire de foot.

Les 17 hommes qui comparaissent - trois sont en fuite - sont d'origines et de milieux sociaux très différents: l'un est de parents bouddhistes réfugiés politiques, un autre est de père juif et de mère catholique. L'un vit dans le cossu XVIe arrondissement de Paris, l'autre n'a jamais quitté sa banlieue de Torcy (Seine-et-Marne).

Ils ont en commun d'être des copains d'enfance ou de vivre dans le même quartier - à Torcy ou près de Cannes (Alpes-Maritimes) - et d'avoir décroché assez vite de l'école. Ils se sont tous convertis entre 2009 et 2012, souvent au contact les uns des autres.

- Une 'mode' -

Pourquoi l'islam? La question est posée avec application à chaque accusé.

Kevin Phan, 23 ans, a fait "comme tout le monde" dans le quartier. Il reconnaît qu'il "ne connaît rien à l'islam", a tout appris auprès de son "grand frère" Jérémy Bailly. Un de ses amis parlera même d'une "mode" à laquelle il devenait difficile d'échapper à Torcy.

Alix Seng, 29 ans, de parents laotiens bouddhistes, s'est borné à dire qu'il était d'obédience sunnite, mais "pas salafiste". Mais "quel est le moteur de votre conversion?" a insisté l'avocat général Philippe Courroye.

- "Ben... je sais pas"

- "C'est une rencontre, une révélation?"

- "Ouais, on va dire que c'est ça, une révélation. Dans ma tête".

Comme Kevin Phan, il s'est marié religieusement. Une première fois durant l'été 2012, avant de répudier sa femme, puis en 2014, avec une musulmane "dont le frère est incarcéré pour des faits de terrorisme", a relevé l'accusation.

"Que signifie répudier? Quel est votre point de vue sur le jihad?" demande Philippe Courroye. Alix Seng répond calmement - "répudier, c'est divorcer, quoi" - ou esquive: "le jihad, je n'ai pas fait beaucoup de recherches dessus. Je suis contre le fait de tuer des innocents".

Seul Jérémy Bailly est un peu sorti de ses gonds quand, pour la quatrième fois, l'avocat général a suggéré qu'il était dans la "takkiya" (dissimulation): "Mais quelle dissimulation?", a-t-il lancé. "Je suis prosélyte, je le dis, je porte le kamis (tunique musulmane, ndlr), je ne me cache pas... Et puis ce que vous pensez, j'en ai rien à cirer".

Certains donnent l'impression d'avoir choisi l'islam comme un refuge, loin des échecs scolaires ou professionnels. Mais ils peinent à le dire et sont constamment sur la défensive.

"Non, non, je ne suis pas salafiste", répètent-ils, alors même que le "salafisme" - mouvement rigoriste de l'islam sunnite - ni même la "radicalisation" ne sont en eux-mêmes un délit. Et qu'ils auront bientôt à s'expliquer sur de véritables crimes, commis au nom de leur religion d'adoption, et pour lesquels ils encourent pour la plupart entre trente ans de réclusion et la perpétuité.

Le procès se poursuit jusqu'au 21 juin.

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