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Avec "Félicité", le réalisateur Alain Gomis entre dans la cour des grands

Couronné aux festivals du film de Berlin et de Ouagadougou, le cinéaste franco-sénégalais Alain Gomis entre dans la cour des grands avec "Félicité", en salles mercredi, le portrait d'une femme fière et indépendante qui, face aux aléas de la vie, va s'ouvrir aux autres.

Après le remarqué "Tey" ("Aujourd'hui") en 2012 avec le poète hip hop Saul Williams, le quatrième film du réalisateur a reçu le Grand prix du jury à Berlin en février puis l'Etalon d'or, la récompense suprême, au festival du film panafricain de Ouagadougou (Fespaco) début mars.

Tourné à Kinshasa, dont il montre le chaos, la moiteur et la nuit, "Félicité" est le portrait d'une chanteuse de bar qui doit trouver de l'argent pour que son fils, victime d'un accident, évite l'amputation.

Un personnage évoquant les mères courage du néoréalisme italien ou les héroïnes des frères Dardenne (notamment Marion Cotillard dans "Deux jours, une nuit").

Comme eux, Alain Gomis, 45 ans, va suivre chaque pas de son personnage, interprété par la chanteuse Véro Tshanda Beya, dont c'est le premier rôle à l'écran. Il la filme au plus près, sans relâche, la suit dans ses tours de chant nocturnes et sa quête pour trouver l'argent nécessaire à l'opération.

"Félicité n'est pas habituée à demander, elle préfère se battre seule, elle est aussi un peu mystérieuse, ne prie pas, n'a pas d'amis", décrivait l'actrice à Berlin. A ses côtés, figurent d'autres acteurs non-professionnels dont Papi Mpaka dans le rôle du réparateur amoureux et Gaetan Claudia dans celui du fils adolescent.

Pour le réalisateur, il s'agissait de réaliser une "ode à la femme africaine et à la femme en général".

Confrontée aux difficultés de la vie, grandes et petites (de l'accident de son fils à la panne de son frigo), Félicité va devoir trouver sa voie entre lutte et acceptation. Elle va en profiter pour s'ouvrir aux autres, permettant au film de quitter le terrain du drame social pour celui d'une histoire d'amour.

- Cinéma africain 'en danger' -

C'est "un film qui ne nie pas les problèmes, mais qui regarde devant", souligne le réalisateur, qui a tourné dans des lieux réels pour montrer la vie quotidienne à Kinshasa, sans verser dans le documentaire.

Bien au contraire. Là ou "Félicité" surprend, c'est par son ampleur émotionnelle et sa dimension parfois onirique, qui en fait un film exigeant. Il fait la part belle aux rêves et à la musique, avec des scènes de l'orchestre symphonique de Kinshasa et celles dans le bar où la chanteuse gagne sa vie.

Il était "important d'aborder la vie quotidienne et aussi la partie invisible. Qu'il s'agisse de l'amour, de la vie, les vraies choses se passent dans ces moments immatériels. Le film se réalise à ces moments-là", explique Alain Gomis.

Financé en partie par la France et le Sénégal, "Félicité" a été difficile à réaliser. "Ca a été une année difficile en RDC", a souligné le réalisateur, en recevant son prix à Berlin. Il faisait référence à la crise politique dans le pays.

"Il est important que ce film soit un lien avec ceux qui viennent. J'ai l'impression que le moment est important" pour le cinéma africain, avait-il ajouté, évoquant l'arrivée d'"une génération de réalisateurs qui n'a jamais été au cinéma car il n'y a plus de cinémas" sur le continent africain.

Les salles obscures ont en effet fermé les unes après les autres, cédant la place à des commerces ou des lieux de culte. Les films sont la plupart du temps vus à la télévision, internet ou sur des DVD piratés.

Au Fespaco début mars, Alain Gomis a lancé un nouveau cri d'alarme pour le cinéma africain "en danger". "On parle de moins en moins de culture et de plus en plus de commerce. L'arrivée des grands opérateurs nous aide, mais il est aussi un danger. Il faut lutter pour notre indépendance".

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