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Canada : un village amérindien en état d’urgence après une vague de tentatives de suicide

Des secours étaient en route lundi vers une petite communauté autochtone d'Ontario (centre du Canada) placée en état d'urgence ce week-end après une prolifération de tentatives de suicides.

Le chef de la réserve d'Attawapiskat, Bruce Shisheesh, a annoncé sur Twitter qu'une équipe d'intervention de crise, composée de travailleurs sociaux et d'intervenants en santé mentale, se dirigeait vers ce village de 2.000 résidents isolé au sud de la Baie d'Hudson. Onze tentatives de suicide, au cours des neuf premiers jours d'avril, y ont été recensées.      

Cette situation dramatique est révélatrice d'un malaise profond, a déploré la ministre fédérale de la Santé, Jane Philpott, lors d'un point de presse au Parlement fédéral. "Au moment où nous parlons, il y a des communautés dans tout le pays qui font face à une même situation troublante, bien qu'elles ne soient pas sous les projecteurs aujourd'hui", a-t-elle dit.  


Plusieurs communautés touchées 

Une réserve du peuple Cri située à 500 km au nord de Winnipeg (Manitoba, centre) avait sonné l'alarme il y a un mois. Shirley Robinson, chef adjointe, avait alors interpelé le gouvernement de Justin Trudeau après le suicide de cinq adolescents et d'une jeune mère de famille.

La communauté inuit de Kuujjuak, dans l'Arctique québécois, avait également été confrontée aux suicides de cinq jeunes, âgés de 15 à 20 ans, entre la mi-décembre et la mi-mars.  

Le chef de la Première Nation crie de l'ouest de l'Ontario, Bruce Shisheesh, avait indiqué qu'une centaine de tentatives de suicide avait été répertoriée au cours des six derniers mois, avec une augmentation ces dernières semaines, selon la radio publique Radio-Canada.   

Devant la presse, la ministre fédérale des Affaires autochtones, Carolyn Bennett, a annoncé qu'elle se rendra vendredi dans la réserve d'Attawapiskat.


Les racines du fléau

La Fondation autochtone de guérison recensait en 2007 les taux de suicide chez les groupes autochtones du Canada.
Parmi 4000 cas de suicide rapportés sur le territoire national en une année, six à dix pour cent se produisaient dans les communautés autochtones. Proportionnellement à la taille de leur population (4% du Canada), ces chiffres révèlent qu’on compte trois fois plus de décès liés au suicide chez les Amérindiens.

Chez les jeunes, c’est encore pire. Dans certaines communautés, les adolescents et jeunes adultes se tuent près de 20 fois plus que les autres Canadiens. Dans les pages du rapport de la Fondation autochtone de guérison, un jeune amérindien témoigne: "J’étais assis dans la maison réfléchissant au fait que je n’en pouvais plus. Je suis resté assis 15, 20 minutes, et je suis allé dans ma chambre, j’ai pris un fusil, un fusil de chasse de calibre 12, j’ai mis une cartouche, mis le cran de sûreté, puis je me suis rassis, et je me suis demandé pourquoi je voulais faire cela. Je n’ai pas pensé aux conséquences, j’étais complètement absorbé par l’idée que je voulais me tuer."


Mais pourquoi les jeunes autochtones se suicident-ils en si grand nombre ?

Le docteur Pierre Gagné, psychiatre et professeur à l’Université de Sherbrooke, explique le phénomène par un déracinement culturel et une aliénation des jeunes générations par rapport aux précédentes.
Il développe ensuite son analyse par une équation : "Ce qui pousse un jeune autochtone à s'enlever la vie est le résultat d'une équation complexe que l'on pourrait, par exemple, écrire comme suit : vulnérabilité préexistante de l'individu + problème de dépendance + pauvreté + environnement difficile (froid, noirceur) + dépression + événement précipitant."


Se méfier des chiffres

Si le suicide chez les Amérindiens révèle un mal-être certain des communautés autochtones du Canada, Eric Gourdeau, ingénieur et économiste qui partage un long passé aux Affaires autochtones du Québec, souligne l’importance de remettre les choses en contexte.
Etant donné le faible nombre de personnes concernées par le phénomène, les chiffres peuvent, d'après lui, induire en erreur : "Si sur une communauté de 100 personnes, un individu s’enlève la vie, en extrapolant, on arrive à un chiffre de 1000 morts pour 100 000 personnes, ce qui, bien entendu, ne correspond pas à la réalité", rapporte-t-il à Radio Canada en 2002.

Enfin, le spécialiste des affaires autochtones rejoint le docteur Gagné pour affirmer que les causes du suicide chez les Amérindiens sont complexes et trop peu comprises. Pour lui, la résolution du problème ne peut se défaire d’une implication directe des membres de la communauté.

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