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Dialogue sur l'"islam de France": la mosquée de Paris se rebiffe

Le chantier d'un "islam de France" connaît un nouvel écueil: la grande mosquée de Paris menace de ne pas participer à la prochaine réunion de l'"instance de dialogue" des musulmans avec l'Etat, sur fond de rivalités incessantes et paralysantes entre institutions.

La grande mosquée de Paris (GMP), puissance historique - fondée il y a 90 ans - et incontournable de l'islam en France, liée à l'Algérie, "réserve formellement" sa décision quant à sa participation à la troisième "instance de dialogue" le 12 décembre place Beauvau, a-t-elle prévenu dans un communiqué.

Cette instance a été lancée au printemps 2015 par Bernard Cazeneuve. Le ministre de l'Intérieur était désireux d'élargir le cadre du dialogue avec la deuxième religion de France (4 à 5 millions de croyants), actuellement représentée par des gestionnaires de mosquées en mal d'image et d'efficacité, en particulier face aux lourds enjeux liés à la radicalisation.

Mais la GMP, dirigée par Dalil Boubakeur, estime que le gouvernement "cherche à entériner (ses) initiatives dans la précipitation et la confusion, sans une large et longue consultation consensuelle, comme ce fut le cas pour l'édification sereine du Conseil français du culte musulman (CFCM)", créé en 2003 par Nicolas Sarkozy, alors ministre de l'Intérieur, après plus de trois ans de consultation. Celle-ci avait été lancée en 1999 par Jean-Pierre Chevènement, à l'époque locataire de Beauvau.

Sollicité vendredi par l'AFP, l'Intérieur indique que "les discussions se poursuivent avec la GMP, comme avec l'ensemble des autres fédérations de l'islam de France".

L'enjeu pour la GMP, qui revendique la tutelle de 250 des quelque 2.500 lieux de culte musulman en France, est de négocier sa place au sein de la fondation pour l'islam de France - présidée par Jean-Pierre Chevènement - et de l'association cultuelle en cours de création pour trouver de nouvelles sources de financement.

"Nous ne voulons ni le contrôle ni la prépondérance, mais que notre fédération soit justement représentée", assure un proche du recteur de la GMP. Dalil Boubakeur, 76 ans, s'est déjà vu confier la présidence du "conseil d'orientation" chargé de repérer les projets - culturels et non cultuels - financés par la future fondation.

Or manifestement ce fauteuil est jugé insuffisant du côté de la GMP, que le recteur Boubakeur dirige depuis près d'un quart de siècle, en plus de ses deux mandats à la tête du CFCM (2003-2008 puis 2013-2015), dont il est toujours président d'honneur.

"Dalil Boubakeur joue à l'enfant gâté et les gens du ministère de l'Intérieur accourent, tombant dans le panneau", s'agace une source proche du CFCM.

"Le problème avec Dalil Boubakeur, c'est qu'il est très difficile de construire sur lui, et qu'en même temps on ne peut rien faire sans lui", nuance un très bon connaisseur du dossier, lui aussi sous couvert d'anonymat.

- "Besoin d'aller vite" -

Pour cet observateur, il se joue en coulisses un nouvel épisode de la guerre "algéro-marocaine" qui mine un paysage français encore largement dominé par l'"islam des consulats". Une source proche de la grande mosquée de Paris ne nie pas cette rivalité. Dans la composition en cours de l'association cultuelle, qui pourrait demain avoir la haute main sur une stratégique contribution sur le halal, "on retrouve trois entités liées au Maroc: la FNMF, le RMF et l'UMF", peste ce proche de Dalil Boubakeur. Or les musulmans d'origine algérienne sont plus nombreux en France que ceux ayant un lien avec le Maroc.

A cela s'ajoute une concurrence intra-algérienne, selon un observateur: la grande mosquée de Paris voit d'un mauvais oeil l'aura grandissante de celle de Lyon, dont le recteur Kamel Kabtane a obtenu une place au conseil d'administration de la fondation de l'islam. Bernard Cazeneuve a participé jeudi à la pose de la première pierre de son Institut français de civilisation musulmane (IFCM), un soutien remarqué.

Dans sa "nouvelle étape" en vue d'un "islam de France", "le gouvernement a besoin d'aller vite pour faire une démonstration, en particulier parce que les échéances électorales approchent", analyse la même source.

"Il y a de l'affichage, on veut de la sérénité", dit-on du côté de la GMP.

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