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En Centrafrique, les corps sans sépulture de Gambo

Des corps, des charniers, une odeur atroce...: l'abbé Junior va effectuer un périple au bout de l'horreur en retrouvant sa paroisse à Gambo, dans le sud-est de la Centrafrique, théâtre d'un de ces massacres en zones isolées qui ravagent le pays.

Au petit matin, le prêtre et un photographe de l'AFP quittent Bangassou en moto pour Gambo, 75 km plus à l'ouest dans cette préfecture de la Mbomou où les civils subissent un regain de violences des milices ex-Séléka, qui affirment défendre des musulmans, et les anti-Balaka, majoritairement chrétiens.

Objectif du déplacement: prendre la mesure du massacre que des ex-Séléka auraient commis le 5 août avant de perdre le contrôle de Gambo au profit des anti-Balaka.

Sur la "RN 2", grande piste en latérite rouge qui traverse une forêt verdoyante, le prêtre, 39 ans, conduit d'une seule main, saluant de l'autre ses ouailles qui le reconnaissent.

Au-delà de Bangassou, aucune trace des Casques bleus de la Mission des Nations unies (Minusca). La route et l'entrée de Gambo sont le fief d'anti-Balaka (anti-"machette"), qui tiennent des postes de contrôle improvisés.

Souriantes, trois jeunes femmes, dont l'une porte un bébé et l'autre un parapluie multicolore, viennent à la rencontre du curé à son arrivée à Gambo. "Abbé Junior! Abbé Junior!": coupés du monde sans réseau téléphonique, les habitants sont ravis d'avoir de la visite et des nouvelles de l'extérieur.

L'abbé centrafricain va d'abord à l'église, sa paroisse qu'il n'a pas vue depuis deux mois. Sur le sol, quelques douilles. Pas de corps dans le presbytère, contrairement à une rumeur entendue à Bangassou.

Direction le centre de santé, où les ex-Séléka ont tué le 5 août au moins 32 personnes, dont six bénévoles de la Croix-Rouge, avait déclaré à l'AFP un survivant, Jonas Ngobo.

- 'Celui-là avec la flèche dans le dos...' -

La visite des lieux confirme son récit.

Une odeur pestilentielle se dégage à l’approche du bâtiment en briques de terre rouge et blanche. Par terre, sur le parvis, sous la véranda, du sang séché, des dossiers renversés, des vêtements et des chaussures, du matériel médical et des objets fracassés.

Avant d'entrer, l'abbé, deux anti-Balaka et le journaliste passent un masque imbibé d'huiles essentielles pour supporter l'odeur. Pharmacie, laboratoire, salle de gynécologie: toutes les pièces sont saccagées, les lits à barreaux blancs défoncés.

Le journaliste compte trois corps. Un anti-Balaka en reconnaît deux, un sur un lit, l'autre disloqué au sol: "Celui-là, avec la flèche dans le dos, c'est le chef du village d'Akondo au PK15".

Le chef anti-Balaka Jean Agoua filme la scène avec un vieux téléphone. Il veut interpeller le président Faustin-Archange Touadéra, à Bangui, à environ 450 km à l'ouest, dans un pays où l'Etat est aux abonnés absents en dehors de la capitale.

A l'arrière du dispensaire, une grande cour et une fosse commune. Des corps -au moins sept - dépassent d'un trou d'environ cinq mètres de large, recouvert à la va-vite. Dans un autre trou: des ossements, de la chair, des vêtements.

A la sortie du dispensaire, les anti-Balakas veulent absolument montrer au journaliste une hutte à proximité. A l'intérieur, un autre cadavre, la boîte crânienne séparée du corps.

Un survivant, Léon Bambeteba, laborantin de 61 ans, volontaire de la Croix-Rouge, était de garde ce samedi 5 août.

"Vers 13h00, des véhicules de la Mission des Nations unies (Minusca) arrivent à Gambo. Des Marocains". Ce même contingent qui a perdu trois hommes en juillet à Bangassou dans des assauts attribués par la Minusca à des anti-Balakas.

A une délégation d'habitants, les Marocains racontent qu'ils attendent un convoi en provenance de Bangui, raconte M. Bambeteba.

L'assaut des Sélékas contre le centre de Santé commence peu après. A 200 mètres du dispensaire, les Casques bleus marocains n'ont pas bougé, selon les survivants.

"Aujourd'hui, nous demandons au gouvernement de nous aider. Nous n'acceptons pas de Minusca ici, leur présence nous fait peur", avance le maire, Eugène Frédéric Foulou, 71 ans.

Son secrétaire-comptable, Pierrot Bida, 57 ans, retrace l'histoire de la ville, condensé du conflit qui déchire la Centrafrique depuis 2013. En 2016, une faction de l'ex-Séléka, des Peuls de l'UPC, ont repris Gambo à une autre faction, le FPRC. Le 3 août, les anti-Balaka lancent une offensive. Le 5, contre-offensive et massacre à l'hôpital. Le 9, donc, les anti-Balakas reprennent la ville.

Retour à Bangassou. L'évêque espagnol de la ville, Juan José Aguirre, bombarde l'abbé Junior et le journaliste de questions.

Ils lui racontent: une ville déserte. Des miliciens anti-Balaka armés qui patrouillent. Une population sans aide humanitaire.

Et des corps en attente de sépulture.

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