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En Syrie, tabac et échecs dans un centre de réhabilitation pour ex-jihadistes

Dans un centre de réhabilitation du nord de la Syrie, de jeunes hommes jouent aux échecs et fument une cigarette, des activités qu'ils bannissaient lorsqu'ils étaient membres du groupe extrémiste Etat islamique (EI).

A Marea, localité rebelle dans la province d'Alep, le "Centre syrien pour la lutte contre l'idéologie extrémiste" accueille près de 100 ex-jihadistes originaires de Syrie, du Moyen-Orient et pour certains même d'Europe de l'Est.

"Je rêvais d'un véritable +Etat islamique+", confie Mohammad Haj Ahmad, 23 ans.

"Mais aujourd'hui nous prenons des leçons pour effacer nos anciennes convictions", ajoute ce jeune homme originaire de Raqa, l'ex-"capitale" de l'EI en Syrie.

Mohammad a rejoint l'organisation ultraradicale à son apogée, en 2014, l'année où elle avait autoproclamé un "califat" sur les terres qu'elle avait conquises en Irak et en Syrie.

Il a participé à l'une de ses plus brutales batailles en Syrie: la prise de l'aéroport de Tabqa, près de Raqa. C'est là que des jihadistes ont exécuté plus de 200 soldats syriens.

"J'étais totalement convaincu par leurs slogans sur le jihad, convaincu qu'ils étaient les seuls à pratiquer la vraie religion et que tout le monde était des infidèles", raconte Mohammad à l'AFP.

"Mon père avait peur que je décide de me faire exploser", se rappelle ce jeune homme à la barbe taillée.

Mohammad et d'autres ex-jihadistes suivent aujourd'hui d'intenses sessions de "réhabilitation" censées leur permettre de réintégrer la société.

"Peut-être que je me lancerai dans les affaires, que je continuerai mes études ou que j'irai en Europe", répond Mohammad quand on l'interroge sur son avenir.

- 'Problème de sécurité' -

Le centre de Marea a été inauguré le 27 octobre lorsque des jihadistes de l'EI, vaincus dans la plupart de leurs bastions syriens, ont afflué vers le nord du pays en guerre, qui échappe en partie au régime.

Les responsables soutiennent que son financement est assuré en partie par les volontaires qui y travaillent, sans plus de détails.

"Nous avons fondé ce centre car de nombreux combattants (jihadistes) arrivaient dans la partie septentrionale d'Alep après l'effondrement de l'EI, ce qui a créé un problème de sécurité", affirme le directeur Hussein Nasser.

Certains ont choisi de rejoindre le centre, d'autres y ont été amenés par des rebelles.

Les groupes jihadistes, notamment l'EI, et les rebelles se sont maintes fois affrontés dans la guerre complexe qui ravage la Syrie depuis 2011, même s'ils sont tous hostiles au régime de Bachar al-Assad.

A Marea, il y a trois catégories de "patients": les combattants qui ont rejoint brièvement l'EI, ceux qui ont combattu longtemps avec eux et les étrangers.

D'après M. Nasser, les ex-jihadistes séjournent au centre pendant six mois, période qui peut être renouvelée. Une évaluation permet de "décider si la personne peut intégrer la société ou pas".

A l'intérieur, les patients traînent les pieds en entrant en classe où, en plus de sessions de thérapie individuelle et collective, on donne des cours de loi islamique, de droits civiques et de psychologie.

Certains ont la barbe, d'autres se sont rasés, mais la plupart portent un chandail de couleur vive sous un gilet noir.

- 'Je rêve de cette vie' -

"Les cours (...) donne (aux patients) une image positive de leur personne et de leurs capacités", affirme le thérapeute psychosocial du centre Abdelkarim Darwich.

M. Darwich écoute les ex-jihadistes raconter leurs histoires puis mène des sessions individuelles afin d'identifier les facteurs sociaux qui les ont poussés à rejoindre l'EI.

Durant les pauses, les ex-jihadistes prient, prennent des repas frugaux sur des matelas qui bordent la salle sans fenêtre. Certains discutent en fumant, d'autres jouent aux échecs.

"Jamais je n'aurais cru que je deviendrais jihadiste", affirme Hawas al-Ali, 26 ans.

Il a quitté en 2016 son métier de chef-cuisinier dans le nord de l'Irak pour rejoindre la police de l'EI en Syrie.

"Mon objectif, c'était la victoire de l'islam. Mais, par la suite, j'ai voulu revenir à la vie civile, à la société, à mes proches, à mes enfants", confie-t-il.

Il aspire maintenant à renouer avec sa "vie d'avant l'EI".

A 24 ans, la barbe fournie, Achraf Nasser soutient qu'il est prêt à réintégrer la société. Mais "la société nous acceptera-t-elle?", se demande-t-il.

Parmi les étrangers, seul un Ukrainien, Muslim Gadzhimetov, a accepté d'être interviewé.

En 2016, il a rejoint la Syrie en passant par la Turquie. Cette année, il a été arrêté et emprisonné par des groupes rebelles, qui l'ont ensuite transféré au centre de Marea.

Aujourd'hui, il assure: "Je veux revenir à la vie civile. Je rêve de cette vie".

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