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Guatemala: l'immunité du président entre les mains des députés

Le président du Guatemala Otto Pérez, accusé de corruption et poussé de tous bords à la démission, pourrait perdre mardi son immunité, soumise au vote des députés, dans un climat de protestation populaire inédit dans le pays.

Le Parlement a commencé à se réunir peu avant 15H00 (21H00 GMT) pour étudier la question, trois jours après les conclusions d'une commission parlementaire qui a recommandé le retrait de l'immunité présidentielle.

Il faut 105 votes de députés sur 158 pour valider la mesure, qui ouvrirait la voie à des poursuites.

Il s'agirait alors de la première fois dans l'histoire du Guatemala qu'un président perd sa protection judiciaire.

Le général en retraite de 64 ans, au pouvoir depuis 2012, a encore répété lundi, dans une conférence de presse, qu'il se sentait "complètement tranquille".

Le président conservateur est pourtant accusé par le parquet et une commission de l'ONU contre l'impunité (Cicig) d'avoir dirigé un système de corruption au sein des douanes, via lequel des fonctionnaires touchaient des pots-de-vin pour exonérer de taxes certaines importations.

Son ancienne vice-présidente Roxana Baldetti est elle déjà en détention provisoire dans ce dossier.

"Je peux vous le dire : je n'ai pas reçu un centime de cette structure frauduleuse", a affirmé lundi Otto Pérez, soulignant qu'"il y a quelque chose d'important, c'est la présomption d'innocence".

Mi-août, une précédente demande de levée d'immunité, avant les accusations du parquet et de la Cicig, avait échoué, ne remportant pas le nombre de votes nécessaires.

Mais face à la colère grandissante de la population, les parlementaires, qui sont nombreux à jouer leur réélection dimanche, pourraient appuyer cette fois la procédure.

D'ailleurs, Manuel Baldizon, favori des élections générales dimanche et candidat du parti Liberté démocratique (Lider, droite), majoritaire au Parlement, a lui aussi appelé à supprimer le bouclier judiciaire d'Otto Pérez.

Le président a déposé lundi un recours devant la Cour constitutionnelle pour bloquer la procédure contre lui, avant une décision attendue d'ici jeudi.

- "Risque de débordements" -

Samedi, plusieurs milliers de Guatémaltèques avaient encore crié leur indignation, exigeant le départ du président.

Des manifestations pacifiques sont organisées chaque semaine depuis avril, quand avait été révélé ce scandale de corruption auquel s'ajoutent d'autres affaires mises au jour depuis.

Mardi, des mouvements paysans et indigènes ont coupé des routes en signe de protestation, tandis que des dizaines de travailleurs bloquaient dans la matinée l'accès au Parlement, pour exiger l'approbation de lois sociales.

Les manifestants réclament le report des élections, auxquelles M. Pérez, dont le mandat court jusqu'au 14 janvier 2016, ne se représente pas, la Constitution n'autorisant qu'un seul mandat.

Mardi, la militante indigène Rigoberta Menchu, prix Nobel de la paix 1992, a appelé au calme "face au risque de débordements", critiquant les "manœuvres du général Otto Pérez Molina" pour faire s'affronter la société guatémaltèque", selon elle en mobilisant des groupes le soutenant pour perturber les manifestations.

"Je lance un appel à la société guatémaltèque à ne pas céder à la provocation, à rejeter la violence", a-t-elle clamé dans un communiqué.

Le vaste scandale de corruption a accaparé la campagne électorale du pays centraméricain, contrairement aux précédentes, plus centrées sur la violence, qui fait chaque année 6.000 morts, en majorité liés au crime organisé, dans un pays de 15,8 millions d'habitants miné par le trafic de drogue et la pauvreté.

Pour Manfredo Marroquin, directeur de l'ONG Accion Ciudadana, branche locale de l'organisation anticorruption Transparency International, le mécontentement populaire est "réellement inhabituel, historique (...), c'est comme une cocotte-minute qui a explosé".

"C'est un processus d'accumulation et cela éclate car les gens sont fatigués, épuisés par les mafias qui ont pris en otage l'Etat et ses institutions pour faire des affaires", explique-t-il.

Cette année déjà, les Guatémaltèques avaient vu revenir dans le pays l'ancien président Alfonso Portillo (2000-2004), qui a passé cinq ans en prison au Guatemala et aux Etats-Unis pour blanchiment d'argent.

Plusieurs institutions publiques, dont la Cour des comptes, ainsi que le patronat, exigent la démission de M. Pérez, ce que ce dernier refuse.

"Le président est en train de gagner du temps, mais il est dans une situation très compliquée actuellement et selon moi, il n'ira pas jusqu'au 14 janvier, il sortira avant", estime José Carlos Sanabria, analyste politique de l'Association de recherche et d'études sociales (Asies).

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