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A Rivesaltes, la lutte des réfugiés espagnols contre la vermine et la faim

Sur la plaine fouettée par les vents, des baraques éventrées témoignent encore de la violence des éléments. Là, sur le camp de Rivesaltes (Pyrénées-Orientales), jusqu'à 9.000 Espagnols fuyant le franquisme se sont entassés luttant contre le froid, la vermine et la "maladie de la faim".

Antonio De la Fuente-Perraz se souvient bien de la ration de tomates bouillies, "tellement grande qu'elle tenait dans le creux de la main".

"On trouvait des cailloux, on trouvait tout un tas de choses dans le manger", témoigne le vieil homme aux sourcils épais, à quelques jours de l'inauguration vendredi du mémorial du camp.

Comme nombre de ses compatriotes, Républicains espagnols chassés par la victoire du général Franco, le garçon de 11 ans a franchi les Pyrénées avec sa famille, en janvier 1939, espérant trouver refuge en France encore libre.

Au cours de cet exode massif appelé la "retirada" (retraite des troupes), ce sont 475.000 personnes qui passent la frontière franco-espagnole dans des conditions très pénibles.

"On était tous des réfugiés", raconte Henri Melich, évoquant les bombardements, la longue attente à la frontière, les fouilles. "Jusqu'à ce qu'on arrive, on ne savait pas où on allait".

"On est venus avec une charrette, il y avait trois familles dedans, moi j'avais 13 ans, je marchais à côté de mon père", dit-il, près de quarante ans après la mort de Franco.

"Avant d'arriver au Boulou (non loin de la frontière), on triait les gens qui passaient. Les femmes, les enfants et les vieux allaient tout droit. Les hommes valides et les soldats, eux, prenaient la route de droite et allaient à Argelès", un des camps de fortune érigés à la hâte sur les plages du Roussillon.

"Pendant un an et demi, mon père a dormi à même la plage, il se couvrait de sable contre le froid, parfois dans des couvertures", raconte Rosario Gomez-Godet, fille de rescapé espagnol, sauvé in extremis "par une main tendue qui l'a fait sauter d'un convoi" en route pour Mathausen, un camp allemand où des milliers d'Espagnols ont été déportés.

Argelès-sur-Mer puis Rivesaltes: "il est passé d'un camp à un autre" avant que, le STO (le travail obligatoire imposé aux Français par les nazis) devienne son "arme salvatrice" pour échapper à la déportation, dit Mme Gomez-Godet, aujourd'hui responsable à Perpignan de l'association FFREEE (Fils et filles de Républicains espagnols et enfants de l'exode).

Après les plages d'Argelès, de Bacarès et de Saint-Cyprien, "les conditions d'hébergement s'améliorent à Rivesaltes, mais dans des circonstances concentrationnaires", explique à l'AFP le réalisateur José Alcala.

- convois juifs -

Là, les réfugiés espagnols sont parqués dans les baraques du camp militaire, répartis dans des îlots F, K, J... Ils côtoient très vite juifs et tziganes, enfermés là par le régime de Vichy.

Le terrain est aride, il plonge sans relief dans la Méditerranée, sans autre végétation que les ronces et les chardons, livré aux rafales de tramontane, frappé par les averses froides ou brûlé par le soleil cuisant.

"Il y avait des morts tous les jours car ils vivaient dans des conditions insalubres", ajoute le responsable de l'iconographie du nouveau musée mémorial, qui ouvre ses portes le 21 octobre.

Pour le directeur de recherche au CNRS Denis Peschanski, président du conseil scientifique du mémorial, "ce qu'il faut retenir de la vie dans le camp, c'est la maladie". Il y eut "la maladie de la faim" ou cachexie, "symptôme avancé de nutrition très insuffisante", souligne-t-il. "Il y eut aussi les maladies liées à l'hygiène" car l'eau est polluée dès sa captation, près des latrines.

A Rivesaltes, il y a la gale, se souvient Antonio De la Fuente, qui avait 13 ans en arrivant en 1941. Et puis il y a les punaises. "La nuit, quand on pouvait faire un peu de lumière, (...) les murs en étaient tapissés, il y en avait tellement que ça courait partout. C’était impressionnant ça nous rentrait dans la bouche, les oreilles".

La nuit, le garçon originaire de Catalogne entend "les convois qui se formaient". Sans se douter encore que les trains emportaient ses compagnons juifs vers les camps de la mort.

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