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Ingrid Betancourt: le cessez-le-feu en Colombie est un "rêve qui se réalise"

Pour Ingrid Betancourt, ex-otage des Farc, le cessez-le-feu avec cette guérilla est un "rêve qui se réalise" et suscite "beaucoup d'espérance" dans une Colombie en guerre depuis des décennies, mais où il reste à parcourir un "chemin épineux" pour réussir la paix.

"C'est du domaine du rêve qui se réalise", a déclaré Ingrid Betancourt lors d'une interview exclusive à l'AFP vendredi soir, au lendemain de la signature du cessez-le-feu entre les Forces armées révolutionnaires de Colombie (Farc, marxistes) et le gouvernement, en pourparlers de paix depuis novembre 2012.

"Il faut voir l'avenir avec beaucoup d'espérance. Penser que nous pouvons finalement construire la démocratie dont nous avons toujours rêvé! C'est très +réalisme magique+ pour beaucoup d'entre nous qui avons vécu la guerre personnellement", a-t-elle estimé, se référant à l'univers de l'écrivain Gabriel Garcia Marquez et à son enlèvement en 2002 par les Farc qui l'ont séquestrée pendant six ans.

Pour Ingrid Betancourt, 54 ans, des "changements" sont indispensables. "La Colombie est un pays miné par la corruption, qui fait partie de la façon de vivre, explique l'essor des mafias, la culture de la drogue, la violence". "C'est un véritable défi: une fois cette paix signée, nous pourrons nous attaquer aux problèmes structurels, ensemble! C'est donc à la fois un espoir, et une prise de conscience qu'il reste un chemin épineux à parcourir".

- Inventer une nouvelle Colombie -

"Une génération comme la mienne n'a jamais connu le silence des armes", ni même "la génération de mes parents nés dans une Colombie qui était déjà en conflit". "Donc, c'est très fort pour les Colombiens, très, très fort", a murmuré, la voix cassée par l'émotion, l'ex-parlementaire et candidate écologiste à la présidence, qui prépare aujourd'hui un doctorat de théologie à Oxford, en Angleterre.

"C'est une nouvelle extraordinaire, surtout pour un pays comme la Colombie en guerre depuis plus de cent ans", a-t-elle renchéri, énumérant la guerre civile des 1.000 jours au début du XXe siècle, la période de "La Violence" générée par l'assassinat en 1948 du leader politique Jorge Eliécer Gaitan, puis les guérillas issues d'insurrections paysannes dans les années 60.

Néanmoins, "cela ne veut pas dire que, du jour au lendemain, tout ce qui a généré ce conflit, c'est-à-dire l'injustice, les exclusions sociales, les problèmes économiques, etc. va être résolu. Il faut reconstruire, inventer une nouvelle Colombie!", a lancé Ingrid Betancourt, qui a la double nationalité franco-colombienne et s'exprimait en français lors de cet entretien par téléphone alors qu'elle était en voyage vers les Etats-Unis.

Quant à un risque d'aggravation de la violence, "cela fait partie des défis" du post-conflit. "Nous avons déjà vu ce qui s'est passé avec l'accord de justice des paramilitaires qui ont négocié leur reddition (dans les années 2000), mais dont une partie ont dévié vers des organisations criminelles." "Donc c'est évident qu'il faut un renforcement de l'Etat, mais qui doit être une consolidation de l'Etat démocratique et non pas arbitraire."

- Ne pas laisser la paix se faner -

"Ce qui vient après la signature de la paix est très ambitieux", a-t-elle estimé. Car "si les membres de la guérilla sentent qu'ils n'ont pas d'espace pour devenir des citoyens de plein droit, s'ils sont rejetés (...) ce sera un échec pour eux et pour nous, la société civile."

"Cette conquête nous a coûté beaucoup d'efforts, beaucoup de morts, et nous n'avons pas le droit de laisser cette paix se faner entre nos mains. Ce n'est pas simplement la responsabilité du président, des chefs de la guérilla ou du gouvernement, c'est la responsabilité de toute la société."

Le conflit a vu s'affronter guérillas d'extrême gauche, paramilitaires d'extrême droite, forces armées et gangs criminels, faisant au moins 260.000 morts, 45.000 disparus et 6,9 millions de déplacés.

Ingrid Betancourt espère "être utile dans la réflexion vers une véritable reconstruction d'une nouvelle façon d'être colombien". "La loi, l'appui de la communauté internationale, tout cela va nous aider. Mais rien ne sera aussi important qu'un changement des coeurs, une nouvelle façon de nous regarder entre Colombiens, et de nous voir comme de possibles partenaires (...) avec des responsabilités égales dans la construction de ce processus de paix."

"Etre arrivés au point où nous sommes est une preuve qu'il y a déjà eu un changement de coeur très important". "Il y a du chemin à parcourir, mais nous bougeons dans le bon sens. C'est pour cela que j'ai de l'espoir", a conclu Ingrid Betancourt, qui n'écarte pas de venir en Colombie célébrer la signature de l'accord de paix, attendue dans quelques semaines.

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