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La justice américaine perplexe sur un Mexicain tué à la frontière

Les juges de la Cour suprême des Etats-Unis ont prêté mardi une oreille compatissante à la famille d'un adolescent mexicain tué à la frontière entre les deux pays, mais sont restés perplexes sur comment éventuellement poursuivre le policier auteur du tir.

L'examen de cet épineux problème de droit intervient en pleine crise diplomatique entre Washington et Mexico, le président Donald Trump comptant isoler le Mexique derrière un mur anti-clandestins, sans en payer la facture.

Le 7 juin 2010, Sergio Hernandez s'amusait avec trois amis dans le lit asséché du Rio Grande, qui sépare la ville mexicaine de Ciudad Juarez de sa voisine texane d'El Paso, quand il a été mortellement blessé par balle par un garde-frontière, Jesus Mesa.

L'agent a fait feu du côté américain de la frontière et sa victime, âgée de 15 ans, a été touchée côté mexicain.

La loi fédérale américaine protège les citoyens contre tout usage disproportionné de la force policière, mais les tribunaux ont estimé que cette protection ne pouvait s'appliquer en l'espèce, la victime étant un Mexicain mort au Mexique.

L'agent Mesa a donc bénéficié d'une immunité de fait. Mais les parents de l'adolescent, soutenus par le gouvernement mexicain et Amnesty International, ont réussi à faire monter l'affaire jusqu'à la Cour suprême à Washington.

"Je me bats pour mon fils mais aussi pour les gens qui ont souffert d'histoires similaires", a confié à l'AFP la mère, Guadalupe Guereca, en référence aux autres Mexicains qui ont été abattus par des tirs transfrontaliers.

Mardi devant les huit magistrats de la plus haute instance judiciaire américaine, l'avocat de la famille du jeune Sergio a décrit une "affaire extraterritoriale simplissime".

- Victime civile -

"L'intégralité de l'action (reprochée à l'agent Mesa) s'est produite aux Etats-Unis", a insisté Bob Hilliard Et, contrairement à des tirs militaires faisant des victimes à l'étranger, la victime "n'était pas un combattant ennemi".

L'avocat a pris un exemple fictif démontrant selon lui l'absurdité de ne pas poursuivre le policier: "Si sur la trajectoire de la balle ayant atteint Sergio s'était trouvé un autre garçon côté américain, alors il y aurait eu matière à poursuivre pour la mort du premier garçon mais pas pour la mort du second".

Confrontés au problème de la souveraineté juridique américaine s'arrêtant à la frontière, les juges de la haute cour sont apparus désireux d'imaginer un mécanisme permettant de justifier d'appliquer la loi américaine quelques mètres au-delà.

Concrètement, cette frontière est une ligne imaginaire suivant le milieu du lit du Rio Grande, dont les berges sont bétonnées et surmontées de deux clôtures, l'une du côté mexicain et l'autre du côté américain.

L'entretien de l'espace entre les clôtures étant assuré par une coopération entre les deux pays, plusieurs juges se sont ainsi demandé si cette particularité ne pourrait servir à élargir la champ d'application de la loi.

Cette idée a été violemment combattue par l'avocat du policier et l'avocat du gouvernement fédéral.

"L'entretien du site s'exerce de façon commune. Mais les lois des Etats-Unis ne s'appliquent pas au-delà du milieu du lit (de la rivière)", a martelé Randolph Ortega, défenseur de Jesus Mesa.

- Frappes de drones -

"On a livré des guerres pour délimiter les frontières", a-t-il souligné. "Les frontières sont des choses bien réelles".

Plus largement, les sages de la Cour suprême se sont inquiétés qu'un jugement favorable à la famille de l'adolescent mexicain ouvre la porte à de multiples poursuites visant les actes d'Américains en dehors des Etats-Unis.

"Allons-nous autoriser toute personne qui a souffert d'une frappe par un drone (militaire) à saisir la justice à New York ?", s'est interrogé le juge progressiste Stephen Breyer.

Les débats ont notamment tourné autour d'un précédent arrêt de la Cour suprême, qui a jugé en 2008 qu'un prisonnier de la base militaire de Guantanamo à Cuba avait le droit de contester la légalité de sa détention devant un tribunal américain.

La différence, a argué M. Ortega, est que "nous exerçons le contrôle sur Guantanamo", tandis que le côté mexicain de la frontière "est en dehors de la souveraineté des Etats-Unis".

Le juge conservateur modéré Anthony Kennedy a de son côté suggéré que ce dossier soit discuté entre l'exécutif et Mexico, car touchant aux affaires étrangères.

La Cour suprême devrait rendre sa décision d'ici fin juin.

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