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La justice française juge irrecevable une plainte du Maroc contre un boxeur dénonçant la torture

La justice française a déclaré jeudi "irrecevable" une plainte en diffamation du Maroc contre Zakaria Moumni, un boxeur qui a porté plainte en France pour torture contre le patron du contre-espionnage marocain, une affaire qui avait nourri une brouille diplomatique entre Paris et Rabat.

Le tribunal correctionnel de Paris a estimé que le royaume, ne pouvant "être assimilé à un particulier", ne pouvait poursuivre en diffamation au titre de l'article 32 de la loi du 29 juillet 1881 qui "réprime la diffamation publique commise envers les particuliers".

Sans trancher sur le fond, il a donc déclaré "le royaume du Maroc irrecevable en son action".

La justice française a été saisie de plusieurs plaintes mettant en cause le patron du contre-espionnage marocain (DGST) Abdellatif Hammouchi ou émanant des autorités marocaines, notamment pour dénonciations calomnieuses, mais c'est la première fois qu'un de ces dossiers arrivait au tribunal.

Les propos attaqués par Rabat avaient été prononcés par Zakaria Moumni en marge de la marche du 11 janvier 2015 après les attentats parisiens. L'homme avait dénoncé sur les chaînes i-TÉLÉ et BFMTV la présence dans à Paris de représentants du Maroc, estimant qu'ils n'y avaient "pas leur place". Il avait réaffirmé avoir été "enlevé, séquestré et torturé" au Maroc, mettant à nouveau en cause Abdellatif Hammouchi.

Plusieurs autres plaintes contre M. Hammouchi avaient entraîné une grave crise diplomatique, quand des policiers français s'étaient rendus à la résidence de l'ambassadeur du Maroc pour notifier au patron de la DGST une convocation d'un juge d'instruction. Paris et Rabat ont mis fin en 2015 à cette crise et repris leur coopération judiciaire.

- "Effet boomerang" -

Les avocats du royaume, Yves Repiquet et Ralph Boussier, ont annoncé dans un communiqué qu'ils feraient appel de ce jugement "afin que le crédit médiatique qui a été accordé aux propos de M. Moumni soit définitivement ruiné et qu'un Etat puisse défendre son honneur devant les juridictions françaises".

Le défenseur du boxeur s'est au contraire félicité de "l'effet boomerang de la plainte du Maroc": "il est de notoriété publique que la torture est pratiquée au Maroc", a affirmé Me Patrick Baudouin, et "si le royaume s'est imaginé qu'on pouvait bâillonner toute critique du pouvoir dans un pays démocratique, c'est raté".

Tout sourire, Zakaria Moumni a réitéré ses accusations: "J'ai vu Hammouchi dans la salle de tortures. Pourquoi n'a-t-il pas déposé plainte lui-même? Moi je ne me cache pas. Je dis juste ce que j'ai subi dans le centre de tortures de Témara, à deux kilomètres de la résidence officielle du roi".

La question des tortures avait été au centre des débats lors de l'audience du 1er avril. Zakaria Moumni, médaille d'or du championnat mondial amateur de kickboxing en 1999, avait raconté avoir cherché à plusieurs reprises à rencontrer le roi du Maroc pour obtenir le poste d'entraîneur qui, pensait-il, lui revenait du fait de ses victoires sportives, et pour dénoncer la "corruption" de membres de sa fédération.

Une insistance qui lui avait valu, selon ses dires, d'être "enlevé à l'aéroport de Rabat en septembre 2010 par des agents de la DGST" puis conduit au centre de détention de Témara où il affirmait avoir été torturé pendant quatre jours. Il avait dit avoir reconnu un de ses tortionnaires comme étant Abdellatif Hammouchi.

Des accusations sans fondement selon les autorités marocaines. Le boxeur avait finalement été condamné en octobre 2010 par la justice marocaine dans une affaire d'escroquerie, après un procès qualifié d'"inéquitable" par Human Rights Watch, puis libéré après 18 mois de détention et une grâce royale.

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