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Le Mozambique tente de sauver ses forêts tropicales contre l'ogre chinois

Quelques minutes ont suffi. L'unité de garde-forestiers de Nicolau Moises vient à peine de se déployer sur la route qui mène au port de Pemba, dans le nord du Mozambique, qu'elle a déjà conclu sa première affaire: la saisie d'un camion chargé de bambous fraîchement sciés. Le chauffeur est verbalisé pour avoir enfreint un moratoire annuel de 90 jours sur les coupes et le transport de bois instauré par les autorités du Mozambique.

Début avril, le gouvernement de Maputo a décidé de prolonger l'interdiction de trois mois supplémentaires, pour tenter d'enrayer ou au moins de ralentir le trafic du bois.

Car la déforestation menace la forêt tropicale qui recouvre plus de la moitié de la superficie de ce pays d'Afrique australe, largement nourrie par l'insatiable appétit de la Chine pour son bois, notamment ses espèces les plus rares.

Depuis plusieurs années, l'exploitation incontrôlée voire totalement illégale pèse de plus en plus lourdement sur l'équilibre de l'écosystème forestier local, au point que certaines espèces sont désormais menacées d'extinction.

Dans une récente étude, l'ONG londonienne Environmental Investigation Agency (EIA) a évalué à au moins 93% la part illégale de l'exploitation forestière au Mozambique.

"Ces cinq dernières années, le trafic du bois a augmenté", reconnaît lui-même le ministre mozambicain de l'Environnement, Celso Correia. "C'est devenu un défi majeur pour le pays."

La corruption, la faiblesse de l'arsenal législatif et l'inefficacité de l'administration, auxquelles s'ajoutent le manque criant de ressources financières du pays, l'un des plus pauvres du continent africain, expliquent pour une large part ce phénomène.


"Crime organisé"

"Nous sommes confrontés au crime organisé", explique le ministre Correia, "nous devons donc livrer une autre guerre, que des institutions normales ne sont pas en mesure de remporter".

L'enjeu est considérable. Celso Correia estime que l'abattage illégal coûte chaque année plus d'un demi-milliard de dollars à son pays. Soit près de 3,5% de son produit intérieur brut, qui était de 14,7 milliards en 2015 selon la Banque mondiale.

Pour limiter cette perte sèche, le gouvernement a récemment déclaré la guerre aux trafiquants en lançant une série de mesures.

Parmi les plus spectaculaires, l'interdiction de l'exportation de tout type de bois en tronc, donc sans transformation préalable, un moratoire de cinq ans sur l'exportation des espèces les plus menacées et le gel, jusqu'à au moins 2019, de la délivrance de tout nouveau permis d'exploitation forestière.

"Il n'y avait pas de règle jusque-là, nous disposons maintenant d'un arsenal efficace", estime le ministre de l'Environnement, "et nous avons en outre renforcé nos capacités de commandement et de contrôle sur le terrain".

Mais la surveillance du grand no man's land vert mozambicain se révèle être une tâche particulièrement ardue.

"Ce travail est difficile parce que nous n'avons pas de moyens suffisants et pas assez de personnel", regrette Nicolau Moises, responsable du secteur des forêts dans la province du Cabo Delgado.

Pour y remédier, le ministère a lancé en mars une vaste opération en envoyant des inspecteurs depuis la capitale: 120 compagnies forestières ont été perquisitionnées dans tout le pays. Les trois quarts d'entre elles ont été verbalisées et 150.000 mètres cubes de bois ont été saisis, du jamais vu au Mozambique.


La Chine, accusée n°1

Comme dans beaucoup d'autres pays africains menacés par la déforestation, la Chine, qui a largement limité les coupes de bois dans ses forêts depuis les années 2000, fait figure d'accusée numéro 1.

Après quelques heures de contrôles routiers, l'unité de M. Moises rend visite à une entreprise chinoise établie depuis cinq ans à Pemba, sur la côte, où s'entassent des centaines de billes de bois prêtes à être exportées vers l'Asie. Elle ne relèvera aucune infraction.

"Nous respectons la loi, nous n'exportons jamais illégalement", assure la main sur le coeur son patron, Rothschild Xu.

Même si la tâche paraît énorme, l'issue du combat contre l'exploitation illégale ne fait aux yeux de Celso Correia aucun doute. "Nous allons gagner, il n'y a pas d'alternative", martèle-t-il, "c'est un combat pour nos vies et celles des générations futures".

Mais d'autres doutent sérieusement de l'efficacité du nouvel arsenal déployé par les autorités.

"Le gouvernement n'en fait pas assez", juge Erik Charas, un journaliste d'investigation très critique du pouvoir, qui affirme que "des personnes clés du gouvernement" travaillent discrètement avec l'industrie chinoise du bois.

Les industriels mozambicains de la transformation du bois, eux, veulent croire que l'interdiction de l'exportation du bois brut va changer la donne pour leur secteur d'activité.

"C'est une mesure positive, car la transformation locale du bois désormais obligatoire va créer des emplois", estime Narciso Gabriel, propriétaire d'une scierie à Pemba et président de l'association des forestiers du Mozambique.

Le jeu en vaut largement la chandelle aux yeux des autorités. Elles qualifient de "vol au grand jour" l'exportation de bois brut pour à peine 5 dollars un mètre cube qui est ensuite revendu à plus de 300 dollars sur le marché international.

"Mais, à l'évidence, tout le monde est loin d'avoir les moyens d'investir dans la transformation", s'empresse d'ajouter Narciso Gabriel, "et c'est bien là tout le problème".

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