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Le radicalisme islamiste, objet d'une guerre d'universitaires

La controverse dure depuis des mois: des universitaires s'affrontent sur les ressorts du radicalisme islamiste, une joute attisée par la violence du débat public dans une France où les attaques jihadistes ont fait 238 morts en moins de deux ans.

Une guerre des trois. Trois politologues se répondant par médias ou livres interposés: Gilles Kepel, professeur à Sciences Po et à l'Ecole normale supérieure (ENS); Olivier Roy, enseignant à l'Institut universitaire européen de Florence (Italie); François Burgat, directeur de recherches au CNRS, basé à Aix-en-Provence.

Le duel le plus médiatisé oppose Gilles Kepel, qui évoque une "radicalisation de l'islam", à Olivier Roy qui voit une "islamisation de la radicalité".

Selon Gilles Kepel, qui a l'oreille du Premier ministre Manuel Valls, le salafisme, ce fondamentalisme sunnite de rupture, est "l'arrière-plan culturel" d'un jihadisme se nourrissant de causes religieuses et sociales. Pour Olivier Roy, le basculement jihadiste "n'est pas la conséquence mécanique de la radicalisation religieuse" mais une révolte ayant des ressorts nihilistes et mortifères, analysés à nouveau dans un récent livre, "Le djihad et la mort" (Seuil).

François Burgat, plus proche d'Olivier Roy que de Gilles Kepel, est tenté de les renvoyer dos à dos. "Face à une première thèse, celle de Kepel, qui consiste à dire +ce sont des fous de Dieu+ et à une deuxième, celle de Roy, selon laquelle il s'agit de +fous tout court+, j'en veux une troisième", explique-t-il à l'AFP.

On ne peut "ignorer l'impact des vieux rapports de domination Nord/Sud sur le comportement des acteurs concernés" et faire comme si la radicalisation n'avait "aucune relation avec le conflit israélo-arabe", soutient le chercheur dans "Comprendre l'islam politique" (La Découverte).

Problème, s'agace-t-il: "La superficie médiatique accordée à la thèse de Gilles Kepel est dix fois supérieure à celle des points de vue qui la contredisent". Au risque, selon François Burgat, de ne pas apporter de solution adaptée aux enjeux.

- 'Champ de ruines' -

Lors d'un débat mercredi soir avec le ministre de l'Intérieur Bernard Cazeneuve dans un amphithéâtre de la rue d'Ulm, siège de l'ENS, Gilles Kepel s'en est pris une nouvelle fois au Comité contre l'islamophobie en France (CCIF) et à la mouvance "islamogauchiste", qu'il accuse de "faire porter la charge de culpabilité sur la société française +islamophobe+". Ce faisant, écrit-il dans son dernier ouvrage, "La Fracture" (Gallimard), on dépossède "la France de son statut de victime pour en faire le bourreau".

Confronté cette semaine à ce contradicteur sur RFI, François Burgat a lancé: "Je suis Gilles Kepel quand il entend nous mobiliser contre al-Baghdadi (le chef du groupe Etat islamique, NDLR). Ce qui m'inquiète, c'est quand je vois ce déchaînement d'insinuations" contre le CCIF notamment.

Membre du Printemps républicain, mouvement tenant d'une ligne ferme en matière de laïcité, Gilles Kepel assume une vision offensive très hostile au burkini par exemple, que ne partagent pas Olivier Roy et François Burgat.

La polémique a enfreint les codes policés du débat universitaire. "Kepel est un Rastignac de très haut niveau", a persiflé Olivier Roy, moqué à rebours par sa cible sous le titre "le roi est nu". Se présentant comme "chercheur de terrain", François Burgat assure que "ni Roy ni Kepel n'ont fait de séjours prolongés dans les régions dont ils parlent".

Ces voix discordantes, qui ne résument pas les points de vue des acteurs du dossier (Jean-Pierre Filiu, Raphaël Liogier, Frédéric Encel...), se rejoindraient presque sur un point: la misère française des études arabes et islamiques.

"On a pris un retard considérable. On sort d'un champ de ruines. Ce quinquennat, particulièrement, a été désastreux de ce point de vue-là", a asséné Gilles Kepel devant un Bernard Cazeneuve impassible.

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