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Les indiens chrétiens qui ne veulent pas voir le pape François

Il y a 30 ans, Gustavo Negrete était allé une croix à la main à la rencontre du pape Jean Paul II, en Equateur. Aujourd'hui, il n'attend rien de François : à l'instar de nombreux autres indiens, il a rejoint les rangs évangéliques pour devenir pasteur.

Le premier pape latino-américain entreprend dimanche une tournée de huit jours en Equateur, Bolivie et Paraguay, trois pays comptant une importante population indienne historiquement marginalisée qu'il a qualifié de victime d'une "culture de rejet" à laquelle il entend délivrer un message de "tendresse".

Mais au cours des dernières décennies, de nombreux indiens, désenchantés, ont délaissé la foi catholique imposée par la croix et l'épée à leurs ancêtres par les colonisateurs espagnols et portugais. M. Negrete incarne cette lente conversion.

En 1985, se souvient-il, accompagné d'un groupe d'indiens quechuas, il avait accueilli Jean Paul II. En ces temps-là, 94% des Equatoriens se disaient catholiques, contre 80% aujourd'hui, pour 16 millions d'habitants.

M. Negrete avait 16 ans et portait une croix en bois bénie par le pape qu'il a longtemps chérie avant de la remplacer par une bible protestante qu'il tient entre ses mains pendant qu'il répond aux questions de l'AFP dans son logement de Pujili, à 80 km au sud de Quito.

François "passe inaperçu dans les communautés indiennes (...) Il n'y a plus ce sentiment, comme nous avions avant, que venait un dieu", explique-t-il.

Chaque dimanche, M. Negrete parcourt avec sa voiture la route escarpée menant à Llamahuasi, une communauté indienne du plateau andin. Là, il est reçu au son de guitares, claviers et trombones dans un modeste temple. Couvertes de châles, les femmes chantent en quechua. "Le Christ est vivant !", crient les fidèles, certains en larmes.

M. Negrete, qui a un temps envisagé de se faire prêtre, s'est converti au début des années 90 après avoir lu une bible protestante et il officie désormais dans quatre temples de l'église du "Prince de paix", dont la majorité des fidèles ont grandi dans le catholicisme.

- 'Sans âmes' -

Il reproche aux prêtres catholiques de n'avoir pas sanctionné "l'ivresse, les mauvais traitements des enfants et des épouses" dans les communautés indiennes.

Le passé de son père, employé dans une propriété où, selon M. Negrete, il était contraint d'embrasser le catholicisme, a aussi pesé sur sa décision.

"Tout ceci a fait que nous avons du ressentiment, une distance, sachant en plus que l'église catholique (...) affirmait que nous étions des êtres sans âme", poursuit-il.

Au Paraguay, 90% des sept millions d'habitants, dont 113.000 indiens guaranis, se disent catholiques.

Ni en Equateur, dont 7% de la population est indienne, ni en Bolivie, dont 40% des 10,5 millions d'habitants est autochtone, n'existe de recensement sur le nombre d'indiens convertis au protestantisme.

Mais Manuel Chugchilan, président de la Feine, une organisation réunissant les indiens évangéliques d'Equateur, affirme que le nombre de congrégations protestantes a explosé depuis les années 80.

On en comptait "40", aujourd'hui, "il y en a 2.500", soutient-il à l'AFP.

D'après lui, les protestants sont parvenus dans des lieux où l'église catholique était absente et ont gagné la confiance des habitants grâce au "changement de vie" qu'ils proposaient. Désormais, il n'y a plus ni alcoolisme, ni violences conjugales et les familles "sont prospères" parce qu'elles misent sur l'éducation de leurs enfants, dit-il.

Sur l'Altiplano bolivien, le fidèle Juan Villca énumère les raisons de sa conversion : "Nous avons perdu la confiance et la foi à cause des curés, des viols, des abus. Ils nous enseignent mal les doctrines, ils sont désobéissants".

Sans la rigidité de la liturgie catholique, les missionnaires évangéliques ont eu recours à la musique et à la danse, très présentes dans la culture indigène, pour attirer l'attention d'une population qui durant de nombreuses années n'a jamais disposé de bible dans sa langue.

Mais, "beaucoup d'entre eux sont évangéliques plus par intérêt que par conviction", veut croire le père Marco Acosta, responsable de la pastorale indienne de la Conférence épiscopale équatorienne, qui espère que "l'image du pape François, son témoignage, sa simplicité, son message" peut influencer sur les communautés indiennes évangéliques et les ramener dans le giron catholique.

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