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Organisation de l'islam en France: attention, fragile

Un consistoire comme pour le culte juif ? Un concordat comme en Alsace-Moselle ? Les attentats jihadistes de Nice et Saint-Etienne-du-Rouvray ont relancé le débat sur l'organisation de l'islam en France, dont la fragilité institutionnelle est vue comme un frein à la lutte contre la radicalisation.

Le CFCM peut-il faire face ?

Fondé en 2003 pour incarner un "islam de France", le Conseil français du culte musulman (CFCM), instance élue, semble à bout de souffle. L'arrivée à sa tête il y a un an d'Anouar Kbibech avait pourtant suscité quelques espoirs.

Cet ingénieur d'origine marocaine a noué un dialogue inédit avec des femmes, des jeunes, des convertis... Mais son projet de "labelliser" les imams pour écarter les profils radicaux est resté lettre morte. De même, son "conseil théologique" n'a pas encore produit de contre-discours religieux face à la propagande jihadiste et est concurrencé par d'autres initiatives, émanant des réseaux de l'UOIF (proche des Frères musulmans) ou de la Grande mosquée de Paris (liée à l'Algérie). Situation symptomatique d'un islam français largement sunnite - sans clergé - qui peine à parler d'une même voix sous le poids des différents pays d'origine (Algérie, Maroc et Turquie principalement).

Le CFCM, animé par des gestionnaires, "est une structure sans âme, dont les annonces sont rarement suivies d'effet", cingle un ancien chef du bureau central des cultes au ministère de l'Intérieur.

"Ceux qu'on appelle les salafistes donnent le sentiment de vivre +pour+ l'islam, alors qu'au CFCM beaucoup donnent le sentiment de vivre +de+ l'islam. Tant que ce sera le cas, on laissera de l'espace aux premiers", se lamente un observateur, pour qui il manque "un pôle de référence musulman qui apparaisse comme une alternative fraternelle au repli sur soi salafiste et à la logique de mort jihadiste".

Consistoire, concordat... des alternatives ?

A droite notamment, où la question identitaire est omniprésente dans la campagne pour la primaire, les idées de réforme de l'organisation de l'islam fusent. Un vrai "concours Lépine", a ironisé la sénatrice UDI Nathalie Goulet, auteur d'un rapport prudent sur cette question.

Gérald Darmanin et Benoist Apparu (proche d'Alain Juppé) se sont prononcés en faveur d'un "consistoire" musulman, sur le modèle centralisé de celui créé par Napoléon Ier en 1808 pour le culte israélite.

Mais des défenseurs de la laïcité craignent que ce projet nécessite un concordat proche de celui en vigueur en Alsace-Moselle, impliquant une adaptation, voire une suspension, de la loi de 1905 séparant les Eglises et l'Etat. Le Canard enchaîné a laissé entendre que le ministre de l'Intérieur, Bernard Cazeneuve, n'était pas hostile à une telle évolution en ce qui concerne l'islam. Simple "réflexion", a nuancé son entourage.

"Je pense qu'il est hors de question de revenir à un régime concordataire", estime pour sa part Didier Leschi, auteur avec Régis Debray d'un guide pratique "La Laïcité au quotidien", en soulignant que le cadre juridique actuel offre de nombreuses possibilités, notamment la création d'un "institut théologique" pour mieux former imams et aumôniers.

Comment financer les chantiers prioritaires ?

Pour supporter les salaires des imams, la construction et le fonctionnement des lieux de culte tout en refusant les flux d'argent venant de l'étranger, des personnalités religieuses ou politiques, comme la députée Les Républicains Nathalie Kosciusko-Morizet, suggèrent une redevance sur la filière halal, un marché estimé à plus de 5 milliards d'euros.

Attention, a prévenu le rapport Goulet: cette mesure, qui ne peut pas être une taxe imposée par l'Etat, n'est "envisageable que si elle est mise en place par les représentants du culte eux-mêmes, comme une redevance privée pour services rendus".

Des voix réclament aussi la relance de la "fondation des oeuvres de l'islam", qui permettrait de recueillir des financements et de faire transiter par un guichet unique tous ceux venant de l'étranger, pour une meilleure transparence. Une mission de préfiguration est en cours, dont les résultats ne sont pas connus.

Face aux carences du CFCM, que ne peut pas compenser une "instance de dialogue" plus large qui ne s'est réunie que deux fois depuis juin 2015, "les autorités de l'Etat vont être obligées de réagir", prédit une source proche du dossier. "La relégitimation du système devra passer par la base des mosquées", estime-t-elle.

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