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Pakistan: la Jamaat-ud-Dawa, un mouvement très suspect qui ne connaît pas la crise

Son nom figure sur la liste noire des Etats-Unis, son chef est l'ennemi public numéro un en Inde et ses actifs sont en théorie gelés. Pourtant, la Jamaat-ud-Dawa (JuD) opère à travers le Pakistan à grand renfort d’œuvres caritatives, défiant la nouvelle politique antiterroriste du gouvernement.

Depuis le massacre par des rebelles talibans du TTP de 153 personnes dans une école de Peshawar (nord-ouest) en décembre, le Pakistan répète qu'il traquera "tous" les groupes "terroristes" et mettra fin à la distinction qu'il est depuis longtemps accusé de faire entre les "bons" talibans, actifs en Inde et en Afghanistan, et les "mauvais" qui comme le TTP le harcèlent sur son sol.

Des rebelles sécessionnistes du Baloutchistan (sud-ouest) au TTP, une soixantaine de groupes figurent sur la liste pakistanaise des organisations terroristes.

Et des responsables jonglent désormais avec l'idée d'y ajouter le réseau Haqqani, une puissante branche des talibans afghans, et la JuD, un mouvement islamiste qui n'a jamais frappé au Pakistan où il jouit d'une forte popularité.

Pour se conformer à une résolution du Conseil de Sécurité de l'ONU, le Pakistan avait dit avoir gelé les actifs de cette organisation après les attentats de Bombay (166 morts) en 2008, dont la JuD est accusée d'être l'architecte, un engagement répété ces dernières semaines par Islamabad.

Mais rien ne suggère un tel gel au quartier général de la JuD, un gigantesque complexe hyper-sécurisé planté en bordure de rizières à Muridke (est), le long de la Grant Trunk Road, serpent de bitume traversant le sous-continent indien.

Longue barbe charbonneuse et sourire avenant, le Dr Akhtar Hussain, un ancien fonctionnaire, dirige l'hôpital al-Aziz, situé dans l'enceinte même du QG, où l'on trouve aussi des écoles pour les garçons et filles, qui suivent pendant leurs premières années les manuels scolaires de la JuD, puis ceux du gouvernement.

A l'instar du Hamas palestinien et du Hezbollah libanais, la JuD a mis sur pied au Pakistan un immense réseau caritatif: cinq hôpitaux, plus de 200 dispensaires, des services d'ambulance et environ 250 écoles.

Ce jour-là à l'hôpital Al-Aziz, de vieilles femmes s'alignent dans un corridor blafard pour des examens oculaires. "Les opérations au laser sont gratuites", assure le Dr Akhtar.

Plus loin, deux dentistes ont entamé leur marathon quotidien: 40 patients chacun. Coût de l'intervention: 50 roupies (0,44 euro).

"C'est une fraction du prix normal. Dans une clinique privée, j'en aurais pour au moins 1.000 roupies" (8,7 euros), se félicite Rana Khaliq ur-Rehman, un fonctionnaire.

- 'Bouclier' humanitaire -

Après un tremblement de terre ou des inondations, la Falah-e-Insaniyat Foundation (FIF), branche caritative de la JuD, se précipite sur le terrain. Et son chef, Hafeez Saeed, dont les Etats-Unis offrent dix millions de dollars pour des informations menant à sa capture, distribue les vivres.

"Les politiciens ne connaissent rien de nos problèmes, mais la Jamaat les connaît et nous aide", souffle Saddam Sohail, un maçon de 25 ans, hostile à l'Inde voisine comme les sympathisants de la JuD. "Alors, quand les Etats-Unis disent que la JuD est terroriste, notre sang se met à bouillir", lance Ghulam Sarwar, un fermier de 55 ans.

Fondée dans les années 1980 sous le nom de Lashkar-e-Taïba (LeT) pour combattre les Soviétiques dans la campagne afghane, l'organisation s'est recyclée au début des années 1990 dans le "jihad" pour le Cachemire, région âprement disputée entre l'Inde et le Pakistan.

Aujourd'hui encore, le LeT, considéré comme la branche armée de la JuD, dispose de combattants dans la province afghane du Nouristan (est), frontalière du Pakistan, selon des responsables afghans cités dans un rapport récent de l'ONU.

Et le LeT recrute toujours des jeunes dans son fief pakistanais du Penjab, où le niveau d'éducation est supérieur à la moyenne nationale, selon une étude sur ses combattants publiée par l'Académie militaire américaine de Westpoint.

Pour Arif Jamal, auteur d'un ouvrage récent sur la JuD, la popularité au Pakistan de ce groupe islamiste qui revendique des centaines de milliers de membres, tient à son combat pour le Cachemire et à son travail caritatif, une dualité qui le distingue du reste des principaux groupes jihadistes du pays.

Ce travail caritatif est comme un "bouclier" qui protège la JuD, tout en "lui permettant de collecter des fonds et même de recruter", dit-il à propos de ce mouvement qui se dit lui-même très proche avec l'establishment sécuritaire du pays.

Les militaires "ne considèrent pas (la JuD) comme un groupe terroriste" et de nombreux hommes politiques, hostiles opposés à cette organisation en privé, n'osent pas s'opposer publiquement à elle ou à la puissante armée sur ce sujet, souligne M. Jamal. "A moins que la JuD ne devienne incontrôlable, les autorités ne s'en prendront jamais à elle".

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