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Pakistan: la lutte contre le terrorisme échoue contre l'extrémisme

Les autorités pakistanaises ont mis un terme aux sermons du mollah Abdul Aziz qui enflammaient la tristement fameuse Mosquée rouge, mais ses fidèles continuent de s'y retrouver par centaines chaque vendredi, signe que la lutte contre le terrorisme ne suffit pas à éradiquer l'extrémisme dans la société.

"Nous avons arrêté le développement du cancer (du terrorisme, NDLR), mais nous ne faisons rien concernant les causes qui le font revenir", déplore un avocat et militant, Muhammad Jibran Nasir.

Le mollah Aziz a été le fer de lance d'un conflit armé qui a opposé une semaine durant en 2007 ses fidèles aux forces armées pakistanaises, et il a lancé des appels récurrents à renverser le gouvernement.

Muselé par les autorités, le prêcheur extrémiste reste néanmoins techniquement libre, et toujours révéré par les talibans.

Cette ambiguïté -- entre une détermination accrue à lutter contre des groupes islamistes comme les talibans, et un laissez-faire face à l'extrémisme qui bouillonne toujours sous la surface -- résume selon des militants de la société civile les carences de la lutte du Pakistan contre une insurrection islamiste locale.

Après une attaque des talibans pakistanais contre une école de Peshawar, où ils ont abattu plus de 100 enfants en décembre 2014, ces combattants se sont retrouvés dans le viseur de l'opinion publique et des autorités.

Le refus du mollah Aziz de condamner ce massacre a déclenché des protestations.

Des manifestants rassemblés devant la mosquée rouge à l'appel de M. Nasir, avocat de 28 ans, ont réclamé l'arrestation du mollah pour incitation à la haine. La mobilisation a fait boule de neige parmi une minorité de citadins laïcs, qui ont constitué un mouvement pour "Reconquérir le Pakistan" face à l'islamisme.

Un an après l'attaque de Peshawar, la campagne militaire contre le terrorisme a réussi à réduire le nombre de morts à son plus bas niveau depuis 2007 -- l'année de la brève insurrection menée par le mollah Aziz, qui a catalysé la création du mouvement taliban pakistanais.

- Déraciner la violence -

"Le pays n'avait aucune feuille de route pour lutter contre ces forces extrémistes, mais je crois qu'on a trouvé la voie", estime l'analyste de sécurité Imtiz Gul.

Mais selon M. Nasir, l'offensive n'a fait que détourner l'attention des racines de la violence.

"Le principal problème est l'extrémisme -- il faut une réforme des livres scolaires, des écoles coraniques, des campagnes de sensibilisation réduisant l'influence du clergé sur la société", estime-t-il.

Mais les autorités ont comme stratégie de maintenir l’ambiguïté -- pour limiter les vagues dans une République islamique qui s'est construite sur son identité musulmane, et se ménager des relais à l'étranger.

Des militants tels que la féministe Marci Sirmed accusent Islamabad de faire de la real politik en réprimant certains groupes -- par exemple ceux qui prêchent contre l'armée -- mais pas d'autres.

Islamabad, parrain historique des talibans afghans, est accusé par Kaboul de continuer à attiser l'insurrection en Afghanistan. Les autorités pakistanaises sont aussi accusées d'appuyer au Cachemire des groupes menant une guerre par procuration contre l'Inde voisine.

En outre émergent de nouvelles formes d'extrémisme.

En avril, une militante qui organisait dans son café des débats sur des sujets comme le féminisme ou les minorités a été abattue devant son établissement.

Le meurtre a été attribué à un "loup solitaire" diplômé, Saad Aziz, qui est aussi accusé d'avoir fomenté un attentat meurtrier contre un bus de chiites ismaéliens. L'incident illustre la nouvelle menace que représentent ces combattants auto-radicalisés, plus tournés vers le jihadisme international.

Cet assassinat a relancé le mouvement de "Reconquête du Pakistan", bien qu'il reste cantonné à la blogosphère.

La sénatrice d'opposition Sherry Rehman estime que le Pakistan a désormais la volonté d'agir, mais doit encore définir la façon.

"Nous avons enfin mobilisé les volontés" contre les groupes islamistes armés, souligne l'élue.

"Mais nous devons sérieusement nous pencher sur ça ces dix prochaines années: comment peut-on s'assurer que cela aille de pair avec une lutte contre l'extrémisme".

"On ne peut se contenter de lutter seulement contre le terrorisme".

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