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Quel avenir pour les Français jihadistes détenus en Syrie?

L'avenir de Thomas Barnouin, Emilie König et de dizaines d'autres Français jihadistes arrêtés en Syrie avec leurs enfants reste flou. Paris affirme qu'ils devraient être jugés dans ce pays, mais évoque aussi des rapatriements au "cas par cas".

Plus d'une quarantaine de Français, en majorité des femmes et enfants, seraient détenus par les forces kurdes contrôlant des territoires dans le nord de la Syrie, un pays morcelé et ravagé par une guerre complexe depuis 2011.

Ils ont été arrêtés après l'effondrement du groupe Etat islamique (EI) sous les coups de boutoir des forces kurdes soutenues par une coalition internationale regroupant entre autres Paris et Washington.

Plusieurs femmes ont émis le souhait de rentrer en France, quitte à y être emprisonnées et jugées. Mais Paris, soucieux d’une opinion publique hostile à leur retour, maintient que les adultes peuvent être jugés en Syrie à condition de bénéficier d'un "procès équitable".

Au grand dam de leurs avocats, qui jugent de tels procès illégaux. Ils soulignent que l'administration kurde n'est pas reconnue internationalement et que les droits des accusés ne seront pas garantis.

Toutefois, Paris défend également une approche du "cas par cas", pour le rapatriement des femmes et enfants notamment, entretenant un certain flou.

Dénonçant un "cafouillage", les avocats de plusieurs Françaises détenues, Mes Marie Dosé, William Bourdon et Martin Pradel, ont porté plainte en France pour "séquestration illégale".

Près de 2.000 Français ont rejoint l'EI en Irak et en Syrie à partir de 2012. Beaucoup d'hommes "ont été tués au combat", souligne Hicham al-Hachimi, historien irakien spécialiste de l'EI.

"Mais d'autres Français étaient aussi comptables, enseignants ou dans la cellule de communication" de l'EI en Syrie, note une source proche du dossier.

"Certains jouaient un rôle important pour le recrutement en Europe et le financement", précise M. Hachimi.

Selon Paris, il resterait environ 500 jihadistes français présumés en Irak et en Syrie, détenus ou en fuite.

Parmi ceux retenus en Syrie, le plus connu reste Thomas Barnouin, 36 ans, vétéran du jihad depuis les années 2000.

"Il avait surtout un rôle théologique (cours de charia, propagande) et faisait partie de la branche la plus radicale de l'EI", note la source proche du dossier. Il est également considéré comme proche des frères Clain, "voix" des revendications des attentats du 13 novembre 2015 qui firent 130 morts à Paris.

Également détenue en Syrie, Emilie König, l'une des jihadistes françaises les plus connues, est elle accusée d'avoir recruté pour l'EI et appelé à commettre des attaques en Occident.

- 'Aucune certitude' -

S'ils jugent des figures comme Barnouin ou König, les Kurdes syriens, qui disent travailler "en coopération avec la France", pourraient leur infliger jusqu'à 20 ans de prison, selon plusieurs de leurs dirigeants.

Mais pour nombre d'autres, les dossiers sont plus minces. Or la loi antiterroriste kurde de 2014, dont l'AFP s'est procuré une copie, punit surtout les auteurs de violences.

Du coup, les femmes (syriennes) jugées jusqu'ici et qui ont suivi leur mari sans combattre ont été condamnées soit à des peines légères, soit acquittées.

En France en revanche, les "revenants" d'Irak ou de Syrie non prouvés combattants écopent aujourd'hui de huit à dix ans de prison, selon Antoine Mégie, spécialiste de la politique pénale pour les jihadistes à l'Université française de Rouen.

Qu'adviendra-t-il des Français qui seraient rapidement libérés par les Kurdes, par décision de justice ou au hasard de l'évolution de cette région instable ?

"On n'en a aucune idée, ce qui est potentiellement dangereux pour tout le monde", estime Me Dosé.

"Barnouin et quelques autres sont de potentiels dangers et aussi des mines d'informations sur l'EI. La France nie aujourd'hui toute volonté de les rapatrier, mais pourrait décider de le faire plus tard pour les emprisonner, voire les rejuger", note la source proche du dossier.

Pour les avocats, tout le monde est perdant dans la situation actuelle: les femmes et les enfants "car ils continuent dans les camps de baigner dans une atmosphère fondamentaliste potentiellement dangereuse", et la France car elle n'a aucune certitude que des détenus pouvant être dangereux ne seront pas libérés.

"Il faut rapatrier toutes les femmes, quitte à ce qu'elles soient arrêtées à leur arrivée, et tous les enfants pour les placer dans des familles d'accueil", plaide Me Bourdon.

Mais pour M. Mégie, comme pour Fabrice Balanche, universitaire spécialiste de la Syrie, le gouvernement, soucieux avant tout de l'opinion publique, va continuer à défendre le "cas par cas".

Avec peut-être un effort pour les enfants, note M. Balanche, car "on ne peut pas laisser dépérir des mineurs français dans des prisons kurdes ou irakiennes".

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