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Ryad et ses alliés renouent avec l'Irak, pour tenter d'en écarter l'Iran

La visite de l'influent leader chiite irakien Moqtada Sadr en Arabie saoudite, poids lourd sunnite du Golfe, a surpris. Mais elle reflète la volonté du royaume de se rapprocher de l'Irak pour y limiter l'influence de son ennemi iranien, selon des experts.

Il y a 27 ans, après l'invasion irakienne du Koweït, l'Arabie saoudite rompait ses relations diplomatiques avec le régime de Saddam Hussein et fermait définitivement ses deux postes-frontières avec l'Irak.

Malgré la chute du dictateur en 2003, les relations sont restées tendues avec les gouvernements successifs à Bagdad, à dominante chiite et proches de l'Iran chiite.

Pourtant fin juillet, Moqtada Sadr a effectué une rare visite en Arabie saoudite, à l'invitation de Ryad qui a largement médiatisé sa rencontre avec le prince héritier Mohammed ben Salmane.

Deux semaines plus tard, il rencontrait le prince héritier d'Abou Dhabi, Mohammed ben Zayed Al-Nahyane, l'homme fort des Emirats arabes unis, autre monarchie sunnite du Golfe alliée des Saoudiens.

En recevant avec les honneurs l'ex-chef de milices ayant combattu la présence américaine en Irak, "Ryad et Abou Dhabi disent à leurs rivaux régionaux, en particulier l'Iran, qu'ils peuvent influencer la politique" en Irak dominée par les partis chiites, affirme à l'AFP Fanar Haddad, chercheur au Middle East Institute.

Pour ces monarchies sunnites, Moqtada Sadr, peu avare en déclarations hostiles à Téhéran, est une "prise de choix: il est chiite, irakien et a une véritable base populaire", explique-t-il.

- 'Tirer les ficelles' -

Ces monarchies cherchent à montrer que l'Iran n'est plus celui qui a le dernier mot en Irak, estime le politologue irakien Hachem al-Hachémi.

L'Iran "s'enorgueillissait de tirer toutes les ficelles parmi les chiites (en Irak) mais il semble que plusieurs ficelles lui échappent désormais, comme celle des sadristes", dit-il à l'AFP.

En juin, le Premier ministre irakien Haider al-Abadi, de confession chiite, avait rencontré en Arabie saoudite les dirigeants du royaume, quatre mois après une visite du chef de la diplomatie saoudienne Adel al-Jubeir à Bagdad, la première à ce niveau depuis 2003.

Pour Michael Knights, chercheur à l'Institut Washington, ces interactions avec Ryad peuvent avoir un prix.

"Téhéran va y voir une raison de plus pour que M. Abadi ne soit pas reconduit à son poste lors des élections prévues au printemps 2018", affirme-t-il. Et pour cela, "l'Iran va travailler dur en coulisse en mobilisant argent, médias et armes".

Dans ce contexte, prévient M. Haddad, Ryad et Abou Dhabi "ne doivent pas trop attendre" de Moqtada Sadr.

L'Iran, estiment les observateurs, a progressivement renforcé son rôle en Irak après la prise du pouvoir par les chiites, longtemps écartés des rouages de l'Etat par le pouvoir sunnite de Saddam Hussein.

La rivalité entre les deux voisins, qui se sont livrés une guerre sanglante entre 1980 et 1988, a cédé après 2003 la place à une forte coopération économique et militaire.

Selon des chiffres cités par le centre de recherche Carnegie, les exportations iraniennes, hors pétrole, vers l'Irak ont presque triplé entre 2008 et 2015 pour atteindre 6,2 milliards de dollars.

L'Iran parraine par ailleurs de nombreux groupes armés irakiens, dont un nombre important domine le Hachd al-Chaabi, ces unités paramilitaires impliquées dans l'offensive contre le groupe jihadiste Etat islamique (EI). Téhéran déploie également des conseillers militaires sur le terrain.

A son retour d'Arabie saoudite, Moqtada Sadr a de nouveau plaidé pour le démantèlement de ces groupes armés, ce qui le rend "particulièrement attirant" pour Ryad et Abou Dhabi, note M. Haddad. Mais il s'est bien gardé de dénoncer le Hachd al-Chaabi, créé à l'appel de la plus haute autorité religieuse chiite d'Irak.

- Arar, signal de départ -

Toutefois, prévient M. Haddad, les liens entre Ryad et Moqtada Sadr ne constituent pas des relations entre Etats. Et les relations irako-saoudiennes sont "loin d'avoir la profondeur et la complexité des liens irano-irakiens".

Un premier pas décisif pourrait toutefois être franchi sous peu: près de 30 ans après la première guerre du Golfe, Ryad et Bagdad disent vouloir rouvrir Arar, leur principal poste-frontière.

Les deux capitales en ont fait l'annonce lors d'une visite d'officiels saoudiens et irakiens, aux côtés de l'envoyé américain en Irak, Brett McGurk, dont le pays est un grand allié du royaume saoudien et l'ennemi juré de l'Iran.

De retour d'Arar, McGurk a salué la réouverture prochaine du poste-frontière et affirmé avoir eu des "rencontres productives" avec les Saoudiens sur un "renforcement des liens avec l'Irak".

L'objectif à Arar est de laisser passer marchandises et personnes et de créer ainsi une autre porte d'entrée aux importations, dont une grande partie arrive aujourd'hui en Irak par la frontière iranienne.

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