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Un expert compare la dernière bataille contre l'EI à la Seconde Guerre mondiale

Le groupe jihadiste Etat islamique (EI), acculé dans son dernier carré à la frontière entre la Syrie et l'Irak, va livrer une bataille difficile à ses adversaires, soutenus par des puissances aux intérêts divergents, selon les experts.

C'est le coeur du territoire de l'Etat islamique

Après une montée en puissance spectaculaire en 2014 dans ces deux pays, l'organisation ultraradicale a vu son "califat" se réduire comme peau de chagrin, perdant l'un après l'autre les territoires conquis, sous le coup d'offensives soutenues par les Etats-Unis ou la Russie.

Les jihadistes ont dû reculer vers leurs derniers fiefs à cheval sur la frontière syro-irakienne: la moyenne vallée de l'Euphrate, qui englobe la localité de Boukamal dans la province syrienne de Deir Ezzor, et la région d'Al-Qaïm dans la province irakienne d'Al-Anbar.

"C'est le coeur du territoire de l'EI, c'est dans cette région que l'EI a fait son apparition en 2014, et c'est là que l'EI a prévu de survivre", déclare Hassan Hassan, un expert du Tahrir Institute for Middle East Policy, un think-tank basé à Washington.

Jeudi, les forces irakiennes ont lancé l'assaut pour reprendre Al-Qaïm et ses environs avec l'objectif de porter un coup fatal à la présence de l'organisation jihadiste sur son territoire.

En Syrie, après avoir perdu Raqa, sa capitale de facto dans ce pays, l'EI est la cible de deux offensives distinctes dans la province de Deir Ezzor, son dernier bastion.

L'une est menée par les forces du régime soutenues par l'aviation russe et l'autre par une alliance de combattants kurdes et arabes appuyée par Washington.

Comme pour prendre en étau les jihadistes, les forces du régime de Bachar al-Assad se trouvent déjà à une cinquantaine de km de Boukamal.

Mais dans la vallée de l'Euphrate et le désert environnant, un territoire marqué par la pauvreté et le tribalisme et négligé par les autorités, l'assaut final contre l'EI s'annonce ardu. Car que ce soit en Irak ou en Syrie, les forces engagées "n'ont pas une bonne connaissance du terrain (...) ce sont des territoires périphériques, c'est l'arrière pays", estime M. Hassan.

Un avis partagé par Nicholas Heras, expert du Center for a New American Security à Washington. "L'EI avait toujours en tête que Deir Ezzor et la région voisine d'Al-Qaïm seraient le dernier bastion de son califat. C'est l'endroit parfait pour leur résistance ultime: la population locale déteste Assad, et va résister aux partenaires kurdes des Américains", dit-il.

Carte de la Syrie au 15 octobre:
- noir et gris: zones contrôlées par l'EI
- rouge: troupes du régime de Bachar el-Assad
- vert clair: Force démocratiques syriennes (FDS), coalition militaire formée en octobre 2015 pendant la guerre civile syrienne, principalement dominée par les Kurdes des Unités de protection du peuple
- vert foncé: rebelles et forces anti-Assad

Source: Thomas van Linge

Carte de la Syrie au 15 octobre:
- gris et noir: zones contrôlées par l'EI
- rouge: forces du gouvernement irakien
- vert clair: territoires contrôlés par les Kurdes

Source: Thomas van Linge


L'organisation ultraradicale compterait encore quelque milliers de combattants, selon M. Hassan. La proportion entre jihadistes locaux et étrangers serait désormais égale, précise-t-il.

Mais après la perte de leurs grands bastions urbains, comme Raqa, ou Mossoul en Irak, les jihadistes vont surtout chercher à "maintenir une insurrection dans le désert". "La question est de savoir dans quelle mesure l'organisation va continuer à opérer dans ces territoires, non-gouvernés", poursuit M. Hassan.

Par ailleurs, pour les différents protagonistes la question se pose sur la manière "d'éliminer cette insurrection et d'empêcher l'EI de mener des attaques surprises, meurtrières et déstabilisantes".

 la situation est similaire à la fin de la Seconde guerre mondiale

L'ultime bataille contre l'EI s'annonce en outre comme un terrain de compétition entre les grandes puissances, qui cultivent des intérêts divergents et soutiennent des forces rivales.

"Les enjeux à Deir Ezzor ne pourraient pas être plus cruciaux", estime Christopher Meserole, un expert de la Brookings Institution.

Ces dernières semaines, les rivalités se sont illustrées à Deir Ezzor, où les forces du régime et l'alliance des Forces démocratiques syriennes (FDS, coalition militaire formée en octobre 2015 pendant la guerre civile syrienne, principalement dominée par les Kurdes des Unités de protection du peuple) ont fait la course pour parvenir en premier au champ pétrolier d'Al-Omar, l'un des plus importants de Syrie, tenu par l'EI.

Au final, ce sont les FDS qui ont réussi à le capturer, prenant de court les forces de Damas, stationnées à quelques km seulement.

C'est également à la frontière syro-irakienne que se joue l'une des principales luttes d'influence entre les Etats-Unis et l'ennemi iranien. "La région est très importante pour l'Iran. Elle permettrait d'ouvrir un corridor vers la Méditerranée, en passant par le nord de l'Irak", souligne M. Meserole.

C'est pour cela qu'il est crucial pour l'Iran que le Hachd al-Chaabi, ces unités paramilitaires dominées par les chiites et soutenues par Téhéran, participe à l'offensive contre Al-Qaïm avec les forces irakiennes.

Et dans la même logique, pour les Etats-Unis, soutenir les FDS à Deir Ezzor "signifie donc contenir l'Iran", précise M. Meserole. "En un sens, la situation est similaire à la fin de la Seconde guerre mondiale, quand les forces soviétiques et américaines ont convergé sur Berlin", résume-t-il.

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