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Une favela de Rio mobilisée contre la violence

Le regard fixe, le pas déterminé, Ana Paula Oliveira marche en tête de cortège, tenant à bout de bras une grande pancarte avec une photo de son fils Jonathan mort il y a trois ans lors d'une intervention policière à Rio de Janeiro.

"Arrêtez les massacres, police assassine", crie-t-elle à l'unisson avec près de 800 manifestants qui défilent mercredi dans les ruelles étroites du Complexe de Maré, ensemble de favelas où 18 morts violentes ont été recensées depuis le début de l'année.

Selon le Forum "Assez de Violence, une autre Maré est possible", c'est une de plus que sur toute l'année 2016, ce quartier qui regroupe 140.000 habitants, souvent otages de la guerre des gangs entre factions rivales de narcotrafiquants qui contrôlent ces zones de non-droit.

"Mon fils a été abattu d'un tir dans le dos, il avait 19 ans. Ce n'est pas parce que nous sommes pauvres, noirs et que nous habitons une favela que notre vie n'a pas de prix", s'insurge Ana Paula.

Juste devant elle, trois manifestants portent un énorme ballon de baudruche rose avec les mots "Maré" et "Amour".

Parfois, ils doivent s'abaisser pour éviter que le ballon n'éclate au contact des fils électriques emberlificotés qui forment une sorte de voute à tous les coins de rue, le long des mansardes bariolées.

Certaines d'entre elles ont leur façade criblées d'impacts de balles, témoins de la violence du quotidien. De petites fleurs jeunes ont été fixées dans les trous qui ont percé la devanture d'un magasin de matelas.

- 'Un seul corps' -

Quelques mètres plus loin, près d'un petit bistrot, Rejanne de Souza Barreto fond en larmes, avant de trouver refuge dans les bras d'autres manifestants.

Il y a trois mois, elle a été touchée par une balle en plein thorax alors qu'elle déjeunait dans l'établissement avec sa fille. Elle a survécu, mais porte toujours le deuil de son mari, tué il y a 17 ans à Maré.

Autre lieu hautement symbolique, un pont près duquel Davison Lucas da Silva, 15 ans, a trouvé la mort en janvier.

Un groupe d'artistes vêtus de blanc et portant des écriteaux avec le mot "paix" se couche sur le lieu exact du drame, alors qu'un drone les prend en photo d'en haut.

Un rituel répété au niveau de la "Bande de Gaza", surnom donné à la ligne de démarcation entre deux zones contrôlées par des gangs rivaux de narcotrafiquants.

"Il faut montrer que nous sommes un seul corps, qui porte un message d'union et de paix", explique Patricia Pillar, actrice brésilienne qui a tourné dans de nombreux films et telenovelas à succès.

- Enfants privés d'école -

Sur une place, un groupe d'hommes âgés continue de jouer aux cartes, imperturbables, grimaçant un peu à cause du bruit mais acceptant de bonne grâce quand une militante leur colle des autocollants sur la chemise.

"Les gens doivent comprendre que le sang doit arrêter de couler", martèle Thais de Jesus, de l'association Redes da Maré (Réseaux de Maré).

"Ma maison a été atteinte à plusieurs reprises par des tirs, la dernière fois, ma petite sœur a failli être touchée. Ma mère habite ici depuis 48 ans, mais aujourd'hui, elle pense à déménager", regrette cette jeune économiste de 27 ans qui arbore fièrement sa coupe afro.

"Ici, on vit au jour le jour. Nous ne savons pas si nous allons pouvoir poursuivre le programme scolaire le lendemain, donc nous profitons à fond de chaque heure de cours", explique l'enseignante Natacha Caravalho, entourée d'une centaine d'écoliers. Elle ne compte plus les fois où elle a dû demander à ses élèves de se réfugier sous les tables alors que des échanges de tirs faisaient rage.

Une violence qui fait de plus en plus de victimes dans toutes les favelas de Rio: le nombre de morts liées à des opérations policières à Rio a bondi de 416 en 2013 à 920 en 2016, selon Amnesty International.

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