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Venezuela: découragée, frustrée, l'opposition déserte les rues

Après avoir manifesté sans relâche pendant quatre mois, Amé fait désormais une pause: comme elle, beaucoup d'opposants au président vénézuélien Nicolas Maduro ont déserté les rues ces derniers jours, frustrés et découragés alors que la crise politique n'en finit pas.

Samedi, elle a refusé de participer à la manifestation convoquée par les dirigeants de l'opposition, qui n'a rassemblé qu'un millier de personnes.

"On se moque de nous", soupire cette mère célibataire de 24 ans, qui se présente uniquement sous le pseudonyme Amé.

Membre de la "résistance", l'aile la plus radicale parmi les adversaires du président Maduro, elle faisait partie de ces jeunes qui, visages masqués et bouclier à la main, affrontent les forces de l'ordre avec des pierres et des cocktails Molotov.

Le vaste mouvement de protestation, qui exige le départ du chef de l'Etat, rendu responsable du naufrage économique du pays, affiche un triste bilan: 125 morts depuis début avril et des milliers de blessés et d'opposants emprisonnés.

Le dirigeant socialiste, élu en 2013, est toujours au pouvoir.

Il a même réussi, malgré l'indignation de l'opposition et d'une partie de la communauté internationale, à faire élire une toute-puissante Assemblée constituante, dont les 545 membres, tous chavistes (du nom du défunt Hugo Chavez, président de 1999 à 2013), siègeront pendant deux ans.

- 'Ils nous ont abandonnés' -

Furieuse mais découragée, Amé a rangé à la maison le drapeau vénézuélien, le bouclier et les gants, son arsenal de manifestante.

"C'est la faute des dirigeants de l'opposition, nous avons commencé ça avec eux et ils nous ont pratiquement abandonnés", accuse-t-elle.

Amé critique surtout la décision de la coalition de la Table pour l'unité démocratique (MUD, centre droit) de participer aux élections régionales d'octobre.

"Maintenant ils vont nous dire que la sortie (à cette crise) est électorale? Cela n'a aucun sens".

Pour l'analyste Colette Capriles, l'opposition a commis une erreur, en faisant des manifestations "une routine". "La rue est une tactique qu'il faut savoir gérer", estime-t-elle.

Mi-juillet, les adversaires de Maduro avaient fait de la lutte contre l'Assemblée constituante une priorité, les dirigeants de la MUD appelant à une stratégie d'occupation de la "rue sans retour".

S'en est suivi un véritable chaos, avec des blocages de rues à l'aide de troncs d'arbres, de gravats et de poubelles incendiées. Lors d'une de ces manifestations, dispersées par les forces de sécurité, Amé a failli se faire arrêter.

Mais cette stratégie fut peine perdue: le 30 juillet, la Constituante a été élue comme prévu, sans la participation de l'opposition qui dénonçait une fraude et malgré le rejet international.

Dans le camp des anti-Maduro, cela a été vécu comme une défaite.

- Sortie électorale? -

La décision de la MUD de participer aux élections régionales a également déconcerté.

"Nous avons appelé les Vénézuéliens à manifester avec un objectif, le départ du dictateur", et maintenant les habitants "exigent de la cohérence", déclare à l'AFP Maria Machado, dirigeante de l'aile radicale de l'opposition.

En présentant des candidats au scrutin d'octobre, "on serait en train de valider le coup d'Etat, de reconnaître une Assemblée constituante frauduleuse et de style cubain, et de légitimer un Conseil national électoral (CNE) que le monde entier considère comme frauduleux", estime Mme Machado, dont le parti Vente refuse de participer à ces élections, tout comme la petite formation ABP.

Tous ne sont pas du même avis.

"L'unique sortie (à la crise) que nous avons est électorale", assure à l'AFP le député Henry Ramos Allup, du parti social-démocrate Accion Democratica.

Malgré les accusations de fraude contre le CNE, la MUD l'avait emporté haut la main lors des élections législatives de décembre 2015, mettant fin à plus d'une décennie d'hégémonie chaviste, rappelle le député.

S'il reconnaît que "certains sont fatigués, déçus" après des mois de manifestations sans résultat concret, il se dit persuadé qu'une large victoire de l'opposition aux élections régionales assènerait un "coup terrible" à Maduro et ferait pression pour une élection présidentielle anticipée.

Amé, qui a vu son ami Neomar Lander mourir lors d'un de ces rassemblements, n'est guère convaincue par cet argument: "Il n'est pas mort pour qu'un autre soit candidat aux régionales", dit-elle.

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