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5000 jeunes Kenyans défavorisés jouent aujourd’hui au tennis grâce à ce Belge: "Steve a changé ma vie"

Un an seulement après avoir créé l'association Tennis4Africa, Steve a déjà permis à 5.000 jeunes Kenyans défavorisés de pratiquer le tennis quasi quotidiennement, et il ne compte pas s'arrêter là.

Depuis toujours, Steve Verkouter, 30 ans, a voulu évoluer dans le monde du tennis. Mais aussi se rendre "utile". Le compromis entre ces deux aspirations est tout trouvé depuis l'an dernier, depuis qu'il a fondé l'association Tennis4Africa (T4A) pour venir en aide, à sa manière, aux jeunes Kenyans défavorisés.

Cet Ostendais a débuté le tennis à l'âge de 8 ans à Grammont, en Flandre orientale. Doué, il a très vite brillé dans de nombreux tournois. Rêvant de devenir professionnel, il a suivi un enseignement secondaire sport-études afin de s'entraîner autant que possible. Mais, comme tant d'autres, il a vite dû accepter qu'il n'était "pas assez bon". Mais le tennis, c'était sa vie. Alors, le joueur a pensé devenir entraîneur et il s'est orienté vers une formation de "moniteur-initiateur".


"C'est du tennis à temps complet que je voulais"

Steve a enseigné le tennis pendant plusieurs années dans son club de Velina, à raison de 3 à 4 heures par semaine, parallèlement à d'autres petits boulots. Mais ce rythme était loin de combler ce passionné: "Du tennis à temps partiel, ce n'est pas ce que je cherchais. Moi, c'est du tennis à temps complet que je voulais". Comme il ne réussissait pas à vivre de son sport ici, le jeune homme est parti tenter sa chance à l'étranger en 2009.


"C'est à ce moment-là que j'ai compris que je pouvais me rendre utile, là-bas"

C'est alors que, enchaînant les contrats saisonniers d'entraineur dans des hôtels de la Méditerranée, en Italie, en Tunisie ou encore en Espagne, il a fait une rencontre déterminante: "Un touriste kenyan m'a raconté l'histoire d'un de ses amis qui enseignait le tennis à des enfants dans son pays, nous relate-t-il, après avoir pris contact via la page Alertez-nous. Son histoire m’a séduit, j’ai pris contact avec lui. C’est à ce moment-là que j’ai compris que je pouvais me rendre utile là-bas", se souvient-il.

En mai 2013, Steve décide de s'exporter au Kenya pour trois mois. L’occasion pour lui de découvrir une nouvelle culture mais aussi de suivre l'action de son contact directement sur place. À son arrivée, le tennis était pratiqué dans certaines grandes villes du pays, quelques centaines de jeunes jouaient à Mombassa et Nairobi, mais les pauvres avaient évidemment beaucoup moins d'opportunités. Steve se réjouissait donc de rejoindre son contact qui enseignait dans les villages reculés.

"Coach tyran"

"Les premières impressions que j’ai eues du pays et de sa culture étaient formidables", se souvient Steve. Par contre, le jeune coach a vite déchanté sur un autre aspect: "Je pensais rencontrer un jeune entraineur kenyan motivé, mais en réalité j’avais affaire à un tyran totalement cinglé, affirme-t-il. La quinzaine d'élèves dont il s'occupait n'avaient pas le droit de sourire pendant l'entraînement et le coach les giflait régulièrement, soi-disant pour les éduquer. L’homme voulait former de jeunes champions et évoquait la différence de culture pour justifier son action, c’était insensé", raconte-t-il.

"Je voulais changer ça et aider ces enfants"

C'est avec des projets plein la tête que Steve a quitté le Kenya, à l'été 2013: "Je voulais changer ça et aider ces enfants." Dès son retour en Belgique, il a cherché des solutions pour concrétiser ses projets. Pour en terminer avec les entraînements "à la dure" tout d'abord, il a commencé par contacter un club "normalement réservé aux familles riches", à Kisumu (la troisième ville du pays) pour proposer une alternative aux jeunes joueurs qu'il avait rencontrés. Ces derniers pouvaient dès lors s’entraîner dans des conditions acceptables et dans une structure adaptée.

Très vite, "le coach tyran" a été remercié par l’école qui l’avait engagé. L'établissement avait visiblement constaté qu’il était possible d’enseigner le tennis "autrement".

À l’été 2013, le jeune Belge savait qu’il allait retourner au Kenya dans peu de temps. Marqué par le peu de moyens dont disposaient les jeunes Kenyans, il a débuté une collecte de raquettes, balles, chaussures et vêtements de toutes tailles, avec pour objectif de développer son propre programme d'initiation au tennis.

Une trentaine de lieux de collecte en Belgique

Steve a donc fait le tour des écoles et des clubs de tennis pour collecter des équipements. Une trentaine d'établissements en Wallonie et en Flandre ont répondu présent, mais pas seulement. "Plusieurs organisations de toute l'Europe m'en envoient aussi régulièrement", indique Steve. Les chaussures fournies servent à la pratique du tennis mais également dans la vie de tous les jours puisqu'elles remplacent les sandales que les enfants portent habituellement pour se promener dans le village ou aller à l'école.


IMG 4004 from steve verkouter on Vimeo.

 "Intéressés par le tennis et pas par l'argent"

En décembre, le prof de tennis est donc reparti, seul, au Kenya pour 5 semaines, avec dans ses valises près de 200 kg de matériel. Sur place, il a fait le tour des écoles de l'ouest du pays désireuses d'adhérer à son programme d'initiation au tennis.

Dans chaque école, il a désigné un référent qui voulait bien donner de son temps pour enseigner le tennis aux jeunes, bénévolement: "Il faut qu'ils soient intéressés par le sport et non par l'argent, ce ne serait pas durable autrement", ajoute-t-il. Car avant de faire connaître ce sport aux élèves, il faut d'abord "l'enseigner aux enseignants" eux-mêmes. Et pour cause: "L'idée n'est pas seulement de leur faire découvrir le tennis pendant quelques jours ou quelques semaines, mais bien qu'à terme ils puissent organiser leurs propres entraînements, souligne Steve. Notre volonté n'est pas juste de leur faire pratiquer le tennis, mais de le leur faire apprécier."

L'objectif étant de permettre le développement non seulement physique mais également psychologique et même social de ces enfants et de les guider vers une scolarité à travers les collèges ou universités.

Une tonne d'équipements expédiés à ce jour

Début 2014, l'association Tennis4Africa a officiellement vu le jour. Steve retourne régulièrement au Kenya depuis avec plusieurs centaines de kilos de bagages à chaque fois. Les terrains de tennis sont tracés par les enfants dans les cours d'écoles et les filets mobiles sont installés par les enseignants.

Deux ans seulement après son premier séjour au Kenya, ce sont près de 600 paires de chaussures et 350 raquettes qui ont été distribuées dans les 24 écoles kenyanes qui ont adhéré au programme. Et c'est sans compter les vêtements, les balles et les filets. Potentiellement ce sont 5.000 enfants de 4 à 18 ans qui pourraient pratiquer le tennis quasi quotidiennement.

Mais ce chiffre devrait augmenter assez rapidement puisque l'association projette également de lancer des programmes tennistiques en Tanzanie ou en Ouganda. "Pas un jour ne passe sans qu'une nouvelle école ne me contacte", signale Steve.

Une action qui a un coût

Même "avec un petit budget", son action a malgré tout un coût. "La première année était difficile, je n'avais pas beaucoup de subventions et j'investissais mes propres sous", raconte le jeune homme qui chiffre à 3.500 € le coût de ses premiers voyages. En février cette année, l'association a été victime de son succès avec des quantités qui ont doublé. "Ce n'était plus possible d'acheminer le matériel dans mes bagages comme je le faisais auparavant", constate Steve qui a dû faire appel à une entreprise postale privée pour assurer son acheminement. Coût de l'opération: 8.000 €, dont 700 € de droits de douane.

T-shirts, bracelets et crowdfunding

Des frais que le jeune entraineur ne peut plus supporter tout seul aujourd'hui. Pour y remédier, il a commencé par vendre des T-shirt et des bracelets à l'effigie de l'association, puis a ouvert un compte bancaire destiné à recevoir des dons. "En 2014, j'ai aussi lancé une campagne de crowfunding (financement participatif sur internet ndlr) pour obtenir des subventions, ajoute-t-il. Et depuis cette année je me déplace sur des événements pour faire connaître l'association." C'est ainsi que Tennis4Africa était présente à la rencontre de Coupe Davis opposant la Belgique et la Suisse, début mars, mais également au Diamond Game d'Anvers, en février, avec le soutien de Kim Clijters. Au total, l'association a récolté près de 200 kg de matériels sur ces deux manifestations.

Partenariats noués avec les fédérations

Lors de sa dernière tournée, Steve a initié un partenariat avec la Fédération kenyane de tennis. "Ils ne me soutenaient pas au début mais ils ont été obligés de se faire une raison en voyant les 5.000 enfants qui se sont mis au tennis en si peu de temps, sourit Steve. Avant il n'y avait pas l'envie, pas les moyens, personne ne se rendait dans les coins reculés du pays. La Fédération peut aujourd'hui créer des structures parce qu'ils ont les joueurs pour le faire." Tennis4Africa est par ailleurs soutenue par l'Association francophone de tennis (AFT) depuis le mois dernier.

"J'ai rencontré Steve à plusieurs reprises car son projet m'a touché à titre personnel , signale Samuel Deflandre, directeur administratif de l'AFT. Son initiative est louable, saine et sans but lucratif, c'est pour cela que j'ai proposé à l'AFT de le soutenir officiellement. Nous avons utilisé nos moyens de communication pour annoncer notre soutien, faire part de sa présence lors du week-end de Coupe Davis et proposer aux spectateurs qui s'y rendaient d'apporter du matériel. Le succès était au rendez-vous."

Un prochain tour exceptionnel

Tout semble réuni pour faire du prochain voyage un "tour" exceptionnel. Parallèlement à la collecte, de plus en plus de personnes demandent à visiter les écoles où intervient l'organisation: des entraineurs qui souhaitent assister mais également quelques "grands noms" sur lesquels Steve n'a pas souhaité nous donner plus de précisions.

A moyen terme, l'organisation ambitionne de créer un centre tennistique national qui rassemblerait les élites et joueurs talentueux qui ont été détectés dans les écoles. La structure permettrait d'entrainer les jeunes de manière plus intensive et plus ciblée durant les vacances scolaires mais également de faire se rencontrer les jeunes talents.

Des alternatives pour payer moins cher

Le fondateur de l'association avoue d'ailleurs chercher des solutions pour acheminer le matériel à moindre frais. "Je suis en contact avec des compagnies de transport de conteneurs et j'ai également rencontré des pilotes de ligne qui transportent parfois des colis humanitaires, indique-t-il. Steve espère ainsi que ses prochains voyages lui coûteront moins chers.

"J'ai quitté mon poste pour le Kenya"

D'autant plus qu'il a récemment quitté son travail pour son association. "Je me suis souvent absenté ces dernières semaines. Mon club m'a demandé de choisir entre mon poste et le Kenya", raconte-t-il. Le jeune homme n'a pas hésité, et il ne le regrette pas: "Cela fait 2 ans que je donne tout pour le Kenya. Quand je vois ce qu'on est parvenu à faire en si peu de temps, je me dis que ça aurait été de la folie de laisser tomber ces enfants."

L'argent de l'association permet de financer le voyage de jeunes talents vers la capitale pour y faire des tournois

Chaque année se déroulent les championnats nationaux à Nairobi. L'argent de l'association permet également de financer le voyage des jeunes talents vers la capitale. "C'est une opportunité incroyable pour eux. Les enfants qui ont voyagé avec nous sont peut-être les seuls de leur famille à avoir parcouru 800 km dans leur vie", estime Steve. Et ils ne se déplacent pas pour rien puisqu'en 2014 deux filles de 9 et 15 ans qui évoluent au sein de l'association depuis un an ont atteint la finale de la compétition.

Tenter d'élaborer un plan de carrière pour les meilleurs

L'association organise depuis peu ses propres tournois pour sélectionner les jeunes talents qui participeront aux championnats. Et pour les meilleurs, T4A tente d'élaborer un plan de carrière tennistique à l'étranger: "Je suis en contact avec des gens qui peuvent les prendre en charge dans des universités américaines ou en Angleterre , affirme le jeune entraineur. Il s'agit de leur donner un objectif dans la vie, l'opportunité est là aujourd'hui."

Ricky Omondi, désormais dans le Top 3 des -16 ans: "Steve a changé ma vie"

Parmi ces jeunes talents figure Ricky Omondi, 15 ans, qui est aujourd'hui dans le top 3 du Kenya dans la catégorie des moins de 16 ans. Originaire de Kisumu, Ricky a rencontré Steve lors de son premier voyage au Kenya, en 2013. "J'ai été marqué d'emblée par sa technique, sa persévérance dans son travail et sa passion pour le tennis", se souvient le jeune Kenyan. "Dès le début, Steve nous a donné l'occasion de nous entraîner à haut-niveau et de participer à des tournois nationaux." Ricky s'entraîne tous les jours de la semaine, avec ses camarades durant la récréation, mais également après l'école, et jusqu'au coucher du soleil. "Le tennis m'a permis de ne pas tomber dans la drogue ou la violence, confie-t-il. Steve a changé ma vie, véritablement." Son rêve ? "Devenir le premier Kenyan à atteindre la finale d'un tournoi ATP et de la remporter !". Mais pas question de s'emballer pour autant: "Si je n'arrive pas à devenir tennisman professionnel, je voudrais devenir médecin parce que je veux aider les gens."

"Il n'y a pas de tennis sans filet"

Tennis4Africa n'est pas la première association à promouvoir le développement du sport en Afrique, "mais les autres associations investissent énormément d'argent dans des énormes structures réservées à une centaine d'enfants seulement, déplore le jeune Belge, alors que sans budget, T4A a fait jouer 5.000 enfants en moins de deux ans." Une association italienne avec un programme similaire à Tennis4Africa est notamment implantée en Ethiopie, en Tanzanie et même au Kenya, et la ressemblance va même jusqu'au nom de l'organisation puisqu'elle s'appelle "Tennis for Africa". Mais Steve l'assure, il n'avait pas connaissance de l'existence de cette association au moment de créer la sienne. "Le tennis était très peu développé au Kenya à mon arrivée, je n'aurais jamais pu imaginer qu'une autre association était passée avant moi. D'autant plus qu'en deux ans, je n'ai jamais croisé de membres d'autre association."

Son rêve ? "Que tous les enfants qui le souhaitent puissent faire du tennis. Si tu veux faire les choses bien, ça prend du temps. Il n'y a pas de tennis sans filet", conclut le jeune Flamand.

@LucasBabillotte

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