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Pourquoi le bio doit éviter de sombrer dans la logique des PRIX BAS imposée par la grande distribution?

Marc Ballat est un des rares producteurs de pommes et de poires bio en Wallonie. Il nous livre sa réflexion sur les travers de l'agro-alimentaire que le bio, en pleine croissance, doit absolument éviter.

Hier, nous vous proposions un sujet sur la production de pommes bio en Wallonie. L'un des intervenants était Marc Ballat, un arboriculteur du pays de Herve en province de Liège. Son parcours, son point de vue et ses propos nous ont paru particulièrement intéressants, au point de lui consacrer un article à part que voici. Le point de rupture qui lance sa nouvelle vie, celle qui nous intéresse ici, survient en 2008, alors qu'il a 39 ans. "Vous rajoutez un an et vous pouvez parler de crise de la quarantaine", s'amuse-t-il. Avant cela: famille qu'il qualifie de "bourgeoise" avec un papa chirurgien, une maman au foyer et lui, le fils qui entreprend des études d'ingénieur commercial. Une trajectoire linéaire. Mais le rejeton a envie d'emprunter un autre sentier.


Changement de cap: "Soit je me faisais internet, soit je changeais de boulot"

"Mes études d'ingénieur commercial m'ont très vite ennuyé une fois réussies les deux candis (NDLR: nom donné auparavant aux années de bachelier) quand je n'avais plus la tête dans le guidon. J'ai voulu être agriculteur après avoir lu des bouquins de la première vague écologique, celle des années 60-70", raconte-t-il. Mais il ne le fait pas. Le changement n'est pas quelque chose d'évident. L'envie n'était sans doute pas encore assez forte, assez viscérale. S'il fait rentrer l'agriculture dans sa vie, c'est d'abord sur le plan sentimental. "J'ai épousé une fille de fermier mais c'est une petite ferme laitière et mon épouse n'aurait jamais voulu entendre parler de vaches", explique-t-il. "Alors, poursuit-il, j'ai fait ce que je savais faire, c'est-à-dire de l'informatique." Marc aboutit en Allemagne, dans une agence européenne à Cologne où il fait donc de l'informatique. Mais la reconversion va devenir une nécessité. "Corruption, incompétence, jalousie: soit je me faisais interner soit je changeais de boulot", se souvient-il. Il choisit la deuxième option et commence ce qu'il avait sans doute toujours eu envie de faire: reprendre une exploitation agricole, s'activer au grand air. Il reprend en location un verger bio où il avait travaillé comme étudiant. Huit hectares de pommiers et de poiriers.


Soumission à la météo: tout perdre en une nuit de gel

Aujourd'hui, huit ans plus tard, Marc Ballat fait toujours partie du cercle restreint des arboriculteurs bio de Wallonie, produisant en moyenne 120 tonnes par an, réparties entre 16 variétés de pommes et 4 de poires qu'il distribuent dans des magasins de la région. Si elle est rentable, plus que s'il cultivait dans des conditions non bio, la réussite est variable, soumise à la nature. "La production peut varier énormément d'une année à l'autre. Elle est fortement liée aux conditions météo du printemps", prévient Marc pour qui "l'idéal réside en un printemps sec auquel se juxtapose suffisamment de pluie en juin pour permettre aux fruits de prendre du calibre". Le pire: le gel, en avril lors de la floraison. Il y a quatre ans, l'homme a perdu toute sa production en une nuit à cause de lui. La grêle aussi peut être dévastatrice. Les fruits qui ont pris des coups ne pourront pas être écoulés comme fruits de table, ils devront finir comme fruits de transformation (compotes, jus, etc.). "Dès lors, vous divisez la valeur par 4 ou 5", traduit le quarantenaire.

Comme il le rappelle, il existe différentes qualités de pommes. La qualité jus, la qualité mousseline, la qualité fruit à peler et enfin le fruit de table. "En gros, ça va de 25 à 40 centimes/kilo alors jusqu'à 1 euro 25 pour la pomme de table. Maintenant, vous avez des coûts supplémentaires pour la pomme de table comme le conditionnement qui vaut à peu près 10 centimes/kilo", rajoute le producteur du pays de Herve.


Comment le bio est-il contrôlé?

Le bio assurant des bénéfices supérieurs, la tentation de vendre au prix bio des fruits cultivés dans des conditions classiques est grande, et dès lors la filière est contrôlée. Une exploitation est visitée par des inspecteurs au moins une fois par an. Marc Ballat en reçoit au moins une seconde pour sa propre société bio qui commercialise les fruits qu'il produit.

Que font les contrôleurs? Ils prennent un échantillon de terre afin de détecter d'éventuels pesticides. Ils pénètrent aussi dans le "local phyto". C'est là que se trouvent les produits pour protéger ou soigner les arbres et les fruits. Si le bio n'a pas le droit d'utiliser des engrais et pesticides chimiques, il peut employer des produits qu'on retrouve dans la nature. Par exemple, contre les champignons, "en gros, on a le cuivre, le soufre, le bicarbonate de potassium", énumère Marc. Ces éléments sont actifs pour empêcher la contamination des fruits sur l'arbre mais ils ne jouent pas sur la conservation. Les inspecteurs vérifient aussi les quantités vendues: "Je pourrais vendre bio des pommes conventionnelles, qui valent trois fois rien, et dire 'Oui, oui, c'est moi qui les ai produites'. Le contrôleur sait bien qu'en bio on peut faire 30/35 tonnes par hectare maximum. La moyenne, c'est 25 tonnes/hectare pour 50 à 100 dans l'arboriculture conventionnelle."

Succès du bio: "Les ventes de magasins les mieux localisés augmentent, certains en ouvrent même d'autres"

La contrainte du contrôle vaut la peine. On l'a écrit plus haut, le bio rapporte davantage que le "chimique". En outre, le succès du secteur ne cesse de croître, et semble promis à un bel avenir quand on sait que sa part de marché dans l'alimentaire ne dépasse pas les 3% à l'heure actuelle. "On voit qu'il y a une demande en croissance. Les ventes de magasins les mieux localisés augmentent. Certains ouvrent même d'autres magasins", observe l'arboriculteur. Vu la demande en hausse, ne devrait-on pas dès lors produire beaucoup plus de pommes et de poires bio dans notre région? Avant de répondre, Marc commence d'abord par une distinction entre les deux fruits. "En pommes de table, il n'y a pas un très très gros écart entre offre et demande. Ce n'est pas parce qu'il y a des pommes argentines qu'on pourrait les remplacer par des pommes belges, car on n'est plus en saison", expose l'exploitant du pays de Herve. Par contre, la production de poires bio est effectivement inférieure à la demande. "Mais il faut savoir que les poires sont d'un moins bon rendement. C'est une culture en bio moins rentable que la pomme", enseigne Marc Ballat. Enfin, pour celui qui voudrait se lancer dans la poire bio, il faut avoir conscience qu'il s'agit d'un investissement sur le long terme: "Quand on plante des poiriers en bio, ça prend 5 ou 6 ans avant de commencer à avoir des cueillettes correctes", dit Marc.


Le bio ne doit pas tomber dans les mêmes travers que le conventionnel

Nous lui parlons de croissance de production, de terres supplémentaires pour faire pousser plus de pommes puisque les consommateurs en demandent plus. Mais pour Marc Ballat, l'élément-clé, garant de la réussite du bio et, plus généralement de l'industrie agro-alimentaire, ce n'est pas la course à la quantité, c'est le contrôle du prix. Du juste prix. Il nous présente ses réflexions.

"Il est surtout important qu'en bio, l'offre ne dépasse pas la demande. Sinon, ça va tirer les prix vers le bas. Toutes les filières sont dans la misère. Dans les pommes et les poires, avec le niveau des produits actuels, si vous passez une exploitation conventionnelle en bio, oui on peut dire que ce sera plus rentable. Ce n'est pas nécessairement le cas dans le lait où le différentiel de prix n'est pas énorme", expose-t-il. "Si la production augmente plus vite que la demande, les prix vont baisser et donc la rentabilité va diminuer, et donc vous aurez à nouveau une course à l'extension, la formation d'entreprise plus grande pour pouvoir amortir le matériel et les frigos sur une plus grande production. Pour faire du bon marché, il faut augmenter la taille des entreprises, mécaniser, utiliser plus de produits chimiques. Automatisation et produits chimiques remplacent les bras, ça veut dire qu'il y a moins de boulot pour les gens. Et si ça ne suffit pas, qu'il faut encore moins cher, on fait venir des plats préparés de Pologne qu'on réchauffe, parce que c'est encore trop cher de le faire en Belgique, même si c'est super automatisé", déplore le producteur du pays de Herve.

"C'est plus important aujourd'hui de s'assurer de la fidélité des clients qui géographiquement sont proches, plutôt que d'augmenter ma production. Si on veut avoir une chance que ça ne se passe pas comme dans le conventionnel, il faut absolument maintenir le lien avec la clientèle. Plus on est proches, plus c'est facile", fait-il remarquer.


Les ménages dépensent de moins en moins pour s'alimenter

Marc Ballat isole un phénomène important qui est celui d'avoir progressivement habitué la population à débourser de moins en moins pour s'alimenter. "Tout le monde trouve que l'alimentation est trop chère, même si évidemment ceux qui consomment du bio sont prêts à donner plus", constate-t-il. Au fil des décennies, les foyers ont consacré une part de plus en plus faible de leur budget à la nourriture. "Sur 25 ans, c'est un économiste en France qui disait ça, la proportion du budget consacrée à l'alimentation est passée de 25% à 12%. Et le logement est passé de 12,5% à 25%", rapporte le quarantenaire. Un grand nombre de gens semblent désormais estimer normal de dépenser peu pour leur nourriture et beaucoup pour des biens secondaires comme, par exemple, des objets hi-tech: "J'avais chez moi un monsieur très sympathique il y a quelques temps. Il allait faire ses courses dans les hard-discounts et me disait qu'en fin de mois, quand on n'avait plus rien dans son portefeuille, il fallait faire des choix. Il voit mon Mac et me dit qu'il a aussi un Mac. Chacun chez lui avait un iPad: lui, sa femme, ses enfants. Il avait aussi un iPhone et même une montre Apple connectée à cet iPhone."


La responsabilité de la grande distribution qui joue uniquement sur les prix bas

La grande distribution porte, selon l'arboriculteur, une grande responsabilité dans le phénomène décrit plus haut: "Je ne vois aucune chaîne de supermarchés qui ne fasse pas de publicité sur les prix, que ce soit Carrefour, Colruyt, et évidemment le hard-discount. Ce qu'ils mettent en avant, ce sont les prix bas. Mais les prix bas sont incompatibles avec une exploitation moyenne et respectueuse de l'environnement. La grande distribution est un problème, pas une solution. À partir du moment où elle se base non sur la qualité et la proximité mais sur les prix, même s'il y a de petites tentatives de faire un peu de local, ça reste anecdotique. À partir de ce moment-là, pour les agriculteurs, c'est foutu", observe Marc Ballat.

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