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Stéphane a dû se séparer à contre-coeur de sa femme de ménage: "La nouvelle règlementation en matière de gens de maison est aberrante"

Depuis le 1er octobre 2014, un citoyen qui a recours aux services d’une personne pour effectuer des travaux ménagers est considéré comme... un employeur et ce, indépendamment de la durée des prestations. Auparavant, employer une aide-ménagère quelques heures par semaine, en dehors du système des titres-services, entraînait pour seule contrainte de souscrire à une assurance "Gens de Maison". Mais désormais, il faut s'enregistrer officiellement comme entreprise auprès de l’ONSS (Organisation nationale de la sécurité sociale) et donc payer les cotisations patronales qui vont avec. À l'origine de ce changement de réglementation, une directive européenne dont l'objectif est de lutter davantage contre le travail au noir et offrir aux travailleurs de maison une protection sociale similaire aux salariés.


Lourdeurs administratives

Mais la mesure impose au citoyen de lourdes démarches administratives et un surcoût non négligeable, dénonce Stéphane Godin via notre page Alertez-nous. Depuis 2002, ce médecin employait une aide-ménagère à raison de 4 heures par semaine pour nettoyer son logement privé et son cabinet médical. Cette dame, retraitée, fait des ménages comme activité complémentaire pour arrondir ses fins de mois, depuis douze ans. Un travail de qualité hautement apprécié par le docteur. Averti par un courrier de son assureur lui informant le changement de réglementation survenu le 1er octobre dernier, Stéphane, s’est donc renseigné sur les démarches à entreprendre pour devenir "employeur particulier" et pouvoir ainsi continuer la collaboration. Mais il ne s’attendait pas au surcoût que cela allait provoquer. Ni au nombre important de tâches administratives nécessaires, même si heureusement la plupart des formulaires peuvent être remplis sur internet. Le docteur nous a décrit les étapes auxquelles il devait se soumettre,


1. S’inscrire auprès de l’Office national de sécurité sociale (ONSS) en remplissant la déclaration WIDE (Werkgever IDentificatie/ion Employeur).

2. Etablir un contrat de travail avec sa future employée.

3. Déclarer sa femme de ménage à l'ONSS via un formulaire appelé DIMONA (la Déclaration Immédiate/Onmiddellijke Aangifte est un message électronique par lequel l'employeur communique toute entrée et sortie de service d'un travailleur. Elle est obligatoire pour tous les employeurs des secteurs public et privé)

4. Remplir chaque trimestre une déclaration DMFA (Déclaration multifonctionnelle/ multifunctionele Aangifte). L'employeur introduira dans un tableau électronique (disponible sur internet) les données salariales et l’horaire de la personne employée.

5. Souscrire à une assurance qui couvre les accidents de travail. Mais cette étape était déjà nécessaire quand la personne employant une personne de maison ne devait pas devenir "employeur particulier".


Un coût non négligeable: près de 600 euros de plus chaque année pour le docteur Godin

S'il devient employeur, le docteur Godin devra désormais payer des charges patronales comme un réel patron d'entreprise. Celles-ci seront calculées sur base de barèmes. Pour un ouvrier ou un employé qui preste un travail manuel, il faut rajouter 38% du salaire brut pour répondre aux exigences des cotisations sociales (pour un employé qui effectuera un travail d’ordre intellectuel, la majoration équivaudra à 13,7%).

Nous avons calculé la différence de coût engendrée par ces nouvelles charges. A titre d’exemple, dans le cas d’une aide-ménagère payée 8 euros/heure à raison de 4 heures/semaine, les frais pour l’employeur s’élevaient grosso-modo à 128 euros par mois soit 1536 €/an. A cela s’ajoutait l’assurance gens de maison, environ 67€/an, pour un total de 1603 €/an.

Depuis le 1er octobre, il faut donc ajouter les 38% de charges patronales. Dans notre exemple, cela entraîne une hausse de 583 euros, l'employeur payant désormais environ 2187 €/an.


"Un licenciement collectif dont personne ne parle"

Pour Stéphane Godin, cette règlementation est aberrante. "La majoration du coût pour le service que cette personne me rend est trop importante. De plus, remplir ces formulaires consistent en une énorme perte de temps et donc aussi d'argent", dit-il. Il a donc décidé de se défaire de sa femme de ménage. Après 12 ans de bons et loyaux services qui ont créé des liens, le docteur Godin la voit s'en aller non sans inquiétude. "La précarité de cette personne ne fait que se renforcer puisqu'elle perd son emploi. Je connais cinq autres personnes qui employaient des aides ménagères et qui ont également décidé de s’en séparer. Selon moi, cette règlementation va entraîner ni plus ni moins qu'un licenciement collectif dont personne ne parle", déplore le médecin.


Combien d’"employeurs particuliers" concernés par cette nouvelle mesure ?

Nous avons tenté de déterminer le nombre d'employeurs particuliers concernés par ces nouvelles mesures et les dispositions qu'ils avaient prises. Comme toutes ces personnes ont pour obligation de souscrire à une assurance Gens de Maison. Tous les assureurs ont donc reçu de la documentation du Fonds des Accidents du Travail concernant le changement de réglementation afin de la diffuser à leurs assurés. Stéphane Godin a lui-même reçu un courrier de sa compagnie d’assurance lui expliquant brièvement la nouvelle réglementation et l’invitant à appeler la compagnie en cas de questions supplémentaires relatives à ce sujet. Nous avons donc joint Assuralia (l’Union professionnelle des entreprises d’assurances). Son porte-parole Peter Wiels nous a indiqué qu'il ne disposait pas de statistiques sur le nombre de personnes ayant une assurance de Gens de Maison. Il nous a aussi rapporté que les différents assureurs n’avaient pas constaté de vague d'assurés qui résiliait leur contrat Gens de Maison, renonçant à une aide-ménagère suite au changement de réglementation.

"C’est sans doute trop tôt pour constater un effet. La nouvelle législation n’est entrée en vigueur que le 1er octobre. Sans doute que la plupart des personnes concernées n’ont pas encore réagi par rapport à cette réglementation. Dans le cas où les assurés souhaiteraient résilier ce genre de contrat, il faut en général un préavis de 3 mois, avant de clôturer un tel contrat", a expliqué le porte-parole des assureurs qui estime que le changement de réglementation poussera sans doute pas mal de citoyens à se tourner vers le système des titres-services pour leur ménage.


Un engouement vers les titres-services ?

Comme le présume le porte-parole d'Assuralia, on peut penser que la plupart des personnes qui ne souhaitent pas devenir "employeur particulier" se tourneront vers le populaire système des titres-services comme solution de substitution. Sur ce sujet Stéphane Godin réserve sa réponse. En effet, si les titres-services peuvent servir pour son logement, ils ne couvrent pas le nettoyage de locaux professionnels, aussi petit soit-il qu'un cabinet médical. Le docteur devra donc faire appel à une entreprise professionnelle pour nettoyer son cabinet! Il a d’ailleurs commencé une étude de marché dans sa région pour déterminer quelle entreprise était la plus intéressante financièrement.


Le secteur des titres-services va-t-il bénéficier de cette nouvelle réglementation?

Il est trop tôt pour le savoir. L'utilisation des titres-services a baissé pour la première fois depuis leur avènement il y a une dizaine d'années, montraient récemment les chiffres de l'Onem. Quelque 26,9 millions de chèques ont ainsi été employés lors du troisième trimestre 2014, soit plus d'un million de moins (-3,6%) que pendant la même période en 2013. Selon l'Onem, ce fléchissement serait la conséquence de contrôles plus stricts et des nouvelles conditions de reconnaissance en vigueur.


Cette mesure va-t-elle permettre finalement de lutter contre le travail en noir ?

Alors qu’initialement, cette mesure visait à offrir aux travailleurs de maison une protection sociale similaire aux salariés et à lutter contre le travail en noir dans l'Union européenne, à la lueur du témoignage du docteur Godin, on se demande si ces lourdes démarches administratives ainsi que les coûts supplémentaires exigés auprès des particuliers n'engendreront pas plutôt un effet inverse. À l’heure où le pouvoir d’achat des Belges est en nette diminution, chaque dépense supplémentaire doit, pour beaucoup, être minutieusement étudiée. Nombreux sont les citoyens qui pourraient en effet être tentés d’avoir recours à un jardinier ou à une femme de ménage payé en noir sans assurance.

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