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"Brisons les tabous": deux amies lancent Bruzelle, une association qui collecte des tampons pour les femmes démunies

Deux amies bruxelloises viennent de lancer l’association "Bruzelle". Un projet social innovant pour aider les femmes précarisées à surmonter une période mensuelle difficile : la période de règles. L’idée est de collecter des protections hygiéniques avant de les distribuer aux plus démunies.

En cette période de grand froid, les actions pour venir en aide aux sans-abri sont souvent mises en lumière. Même si le soleil brille, les températures glaciales frigorifient ceux qui passent la nuit à l’extérieur. Autorités et associations tentent dès lors de leur offrir un minimum de réconfort, comme des places supplémentaires dans les abris de nuit ou de la soupe chaude distribuée gratuitement.

Mais quand en est-il d’un autre besoin élémentaire pour les femmes pendant une semaine par mois: les protections périodiques ? C’est la question qui est à la base du projet de Valérie et Veronica, deux amies bruxelloises. Soucieuses du bien-être féminin en général, elles se sont demandé comment cela se passe pour les femmes qui sont à la rue pendant leurs règles. Un moment pénible mais inévitable qui se répète chaque mois pendant toute l’année.


"C’était comme une révélation"

Une rencontre marquante un soir dans le métro va précipiter les choses et les pousser à passer de la réflexion à l’action. "Je suis allée près d’une dame sans-abri qui clairement n’allait pas bien. Je lui ai demandé si elle désirait quelque chose de chaud. Elle m’a répondu qu’elle n’avait pas faim, mais qu’elle avait ses règles et qu’elle ne se sentait pas bien. Je lui ai répondu que quand elle allait aller à l’abri de nuit, on lui donnerait quelque chose pour se protéger. Mais elle m’a dit qu’elle ne recevait pas toujours une protection périodique. Je lui ai alors demandé: "Qu’est-ce que vous faites tous les autres jours ?" Elle m’a répondu qu’elle se débrouillait", se souvient Veronica. Cette histoire la choque et l’interpelle. "J’ai vraiment percuté. On était déjà dans cette démarche-là mais c’était comme une révélation. J’ai eu affaire à une situation concrète", ajoute la quadragénaire qui s’occupe d’enfants.

Quelques jours après, elle regarde par hasard un reportage sur les femmes de la rue à New York. "Une dame expliquait qu’elle devait choisir entre manger ou acheter des tampons", indique Veronica. Pour les femmes précaires, les protections hygiéniques représentent en effet un coût conséquent dans leur maigre budget. Ce n’est donc souvent pas leur priorité. Et pourtant, c’est un besoin vital. "C’est quand même un certain budget pour des femmes qui travaillent et donc quand on n’a pas d’argent c’est difficile", souligne la Bruxelloise.

"En 2017, il y a encore une espèce de malaise"

Pourtant, ce problème reste méconnu. "Quand on en parle autour de nous, les gens pensent que cela est pris en charge par les abris de nuit et les centres d’accueil, que tout ça est organisé. Mais, en fait, pas du tout. Ce qui est aussi frappant c’est que quand on parle de sans-abri, la première chose à laquelle on pense c’est un homme et pas une femme. Tout le côté des règles ne vient pas sur le tapis du coup. Dès que vous grattez un peu le vernis, vous vous rendez compte qu’il n’y a rien qui se passe derrière", regrette-t-elle.

C’est aussi un sujet tabou. "Il y a quelque chose qui gêne parce que c’est intime. On sait que cela existe mais on préfère ne pas le savoir. Vous sentez encore qu’aujourd’hui, en 2017, il y a une espèce de malaise et pourtant ça fait partie de la vie", souligne Veronica.


Deux façons de collecter des dons 

Face à ces constats, elle décide donc avec son amie Valérie, qui est éducatrice, de créer une association basée à Bruxelles. Le projet collaboratif Bruzelle voit le jour fin octobre. Le concept est simple: collecter des protections hygiéniques et les redistribuer ensuite aux femmes précarisées. Concrètement, des personnes peuvent déposer anonymement des tampons et des serviettes hygiéniques dans des boîtes Bruzelle installées dans différents lieux à Bruxelles. "Ce sont donc des points fixes dans des endroits de passage, comme par exemple à la Free Clinic à Ixelles (ndlr : un planning familial) et aussi bientôt chez Actiris", énumère Veronica.

Des dons sont aussi collectés grâce à l’initiative individuelle de certaines personnes. "C’est une employée par exemple qui décide personnellement de mettre une boîte sur son bureau dans son entreprise et qui demande à tous ses collègues proches ou pas de déposer quelque chose. Et quand la boîte est pleine, on nous contacte pour venir prendre la boîte", explique la quadragénaire. Les membres de Bruzelle se chargent ensuite de réaliser des pochettes qui contiennent assez de protections pour un cycle menstruel. Les premiers résultats sont plutôt encourageants. "Depuis la création de l’association, on a déjà de quoi faire 236 trousses. Dans chacune, il y a 10 tampons et 10 serviettes périodiques. On récolte donc aussi des tissus et on travaille notamment avec des ateliers de couture qui confectionnent gratuitement des trousses pour nous."

Comment distribuer les pochettes ?

Reste ensuite à les donner aux femmes qui vivent dans la rue.

La première distribution est prévue début février via d’autres associations.

"On travaille avec DoucheFLUX, un espace solide où les personnes qui dorment dans la rue ou n’ont pas accès à l’eau peuvent venir se doucher. On collabore aussi avec Rolling Douche, qui est mobile. Ce sont deux douches qui sont montées dans une espèce de caravane. Et puis, il y a l’Opération Thermos. Pour nous, c’est le plus sympa parce que c’est le seul endroit où non seulement on peut rencontrer les femmes à qui on donne les trousses mais on peut aussi avoir un feedback", souligne Veronica.

Ces différentes associations sont surtout actives pendant la période hivernale. Les membres de Bruzelle doivent donc réfléchir à l’avenir puisque les règles, c’est un problème récurrent. "C’est un vrai challenge car pour le moment on profite de l’élan de solidarité organisé par ces associations. Mais à partir de mars, avril, il faudra voir comment continuer et gérer ça sur le long terme afin de permettre un flux constant", épingle la quadragénaire.


La gratuité comme objectif final

A terme, l’objectif est aussi de conscientiser le monde politique à cette problématique. "On aimerait que l’action ne reste pas citoyenne mais que les ministres compétents réagissent", explique Veronica. Elle plaide pour une gratuité des protections périodiques et ce soit pour toutes les femmes. "Le but final est qu’aucune femme ne doive payer ses tampons. Ce n’est pas de notre faute si nous avons des règles. On ne choisit pas son sexe à la naissance. Je trouve cela super injuste dès le départ. Une allocation devrait donc exister pour permettre aux femmes de ne pas sortir de l’argent de leur poche pour les protections périodiques. Le vrai combat, c’est celui-là."

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