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"Pourquoi le chômage est-il plus intéressant que d'accepter un travail?": Adélaïde, responsable recrutement, s'inquiète après plusieurs refus

Faut-il augmenter le salaire minimum ? C’est la question que se pose une agence d’intérim. Elle enregistre de plus en plus de refus d’emploi. Le motif : la différence entre le salaire proposé et l’allocation de chômage n’est pas assez attrayante. La question de la fiscalité du travail est sur la table du monde politique depuis des années. C’est un point de l’accord de gouvernement. Mais les différents partis de la majorité ne parviennent pas à se mettre d’accord pour une vraie réforme.

Dans une agence d'intérim à Naninne (Namur), une certaine frustration s'est installée. Les entretiens sont par moment plus difficiles, car la négociation salariale s'est durcie. Certaines personnes ont refusé un emploi, car l'incitant financier n'est selon elles pas assez élevé. Plusieurs cas concrets se sont présentés ces dernières semaines.

Responsable du recrutement pour une agence d'intérim, Adélaïde dresse son constat après 5 années d'observations dans ce secteur. Elle s'inquiète de recevoir des refus de la part de personnes qui font le choix de rester au chômage car l’incitant financier au travail est trop minime.

"Les gens calculent sans cesse si le travail proposé leur rapportera plus qu'au chômage. Exemple concret: un de mes intérimaires m'a informé ne pas vouloir se rendre à son essai car après réflexion, il gagnait plus au chômage...", raconte-t-elle. 

Adélaïde partage également d'autres réflexions faites lors des entretiens d'embauche. 

En gros, si on leur donne un salaire-horaire de 12 euros de l’heure, pour un 38 heures semaine, ils vont calculer et peuvent nous dire non

"Au niveau du salaire, ils ne posent pas tout de suite la question. C’est par la suite, quand il y aura quelque chose de plus concret, que ça va arriver. La personne va dire "tiens, je suis allé à l’entretien, c’est positif, mais c’est quoi le salaire ?" En gros, si on leur donne un salaire-horaire de 12 euros de l’heure, pour un 38 heures semaine, ils vont calculer et peuvent nous dire 'non, je dois payer une crèche si je vais travailler alors que si je reste au chômage, je garde mon enfant'. Pour 100 euros en plus, avec la crèche et l’essence, ils préfèrent rester au chômage."

L'employée de cette boîte d'intérim s'interroge toutefois sur ce choix de rester au chômage. 

"Comment peut-on accepter de rester au chômage, rester chez soi, à rien faire…?"

"Je trouve ça dingue. Comment peut-on accepter de rester au chômage, chez soi, à ne rien faire…? Alors qu’on leur propose un job qui peut leur ouvrir d’autres portes. On ne peut pas toujours commencer avec un salaire de 2.000 euros net par mois. Ce serait super, mais parfois, il faut pouvoir commencer en bas de l’échelle", estime-t-elle.

Pour Adélaïde, le système actuel en Belgique est "mal fait". "Comment est-ce possible qu’en 2022, il soit plus rentable de rester chez soi en étant chômeur qu’en travaillant ?"

Et d'ajouter: "On remarque que chez les personnes qui viennent de sortir de l’école, ils s’attendent à un salaire plus élevé. Si on leur propose un salaire de 1600 euros net, ils peuvent dire qu’avec ce salaire-là, ils ne vont pas travailler. On a envie de leur dire qu’ils doivent d’abord construire leur carrière, faire leurs preuves, avant d’avoir un salaire plus élevé. Peut-être qu’après 2-3 mois, une fois qu’ils auront montré ce qu’ils valent, ils pourront demander une augmentation salariale. Ça serait peut-être plus cohérent. Maintenant avec la vie actuelle, l’augmentation des prix, etc… On peut comprendre ça aussi."

Il n'y a potentiellement pas de sanction

Dans certains cas, le refus d'emploi peut être sanctionné mais il faut que l'offre soit jugée comme convenable. Le montant du salaire est déterminant. "Lorsque l'emploi n'est pas convenable et cela va être le cas si la rémunération va être inférieure au barème ou si elle va être inférieure à l'allocation net, il n'y aura potentiellement pas de sanction", explique Claire De Haan, responsable direction réglementation chômage et contentieux à l'Onem. 

Le piège à l'emploi

Mais pourquoi ces refus? Augmenter le salaire minimum est-il la solution? Nous avons posé ces questions à l'économiste Bruno Colmant.

"Refuser du travail ? C’est dommage car le travail c’est structurant, cela permet de s’épanouir, de créer des formations, de la richesse. C’est très dommage car on est dans une situation de pénurie d’emplois. Il y a énormément d’emplois qui ne trouvent pas preneur", souligne-t-il.

"Pourquoi des personnes préfèrent rester au chômage ? Car le minimum non imposable est trop bas. Il y a ce qu’on appelle le piège à l’emploi. Une situation dans laquelle on ne gagne pas assez en commençant à travailler dans un bas salaire compte tenu de tous les frais qu’on doit supporter pour aller travailler (transport, crèche et autres). Clairement, je crois qu’aujourd’hui des personnes font un calcul et se disent que travailler va leur rapporter 50 euros en plus compte tenu des frais qu’ils doivent supporter."

Quel impact sur notre économie ?

Bruno Colmant indique que "toute personne qui refuse de travailler, c’est un potentiel productif pour l’ensemble de la collectivité qui est perdu. Quand une personne décide de ne pas travailler, on peut présupposer qu’elle va commencer à sortir du marché de l’emploi et que derrière, il y a peut-être 20 à 30 années de travail productif qui sont soustraites à la prospérité des futures générations. Quelqu’un qui décide de ne pas travailler non seulement abime l’économie d’aujourd’hui mais aussi l’économie de demain. Tous les rayonnements qu’il aurait pu apporter professionnellement sont soustraits à l’économie."

L'économiste est "absolument" pour une hausse du minimum non imposable. Il s'explique:

"Non seulement, on va réduire le piège à l’emploi et on va permettre d’augmenter le salaire poche des salaires peu élevés. Cela permettra aux personnes de rembourser leurs frais énergétiques. Je pense qu’on devrait idéalement avoir un minimum non imposable de l’ordre de 12 à 13.000 euros (tranche de salaire annuel qui serait non imposable). Cela va coûter de l’argent. C’est d’ailleurs quelque chose qui est prévu dans la réforme fiscale du ministre des Finances, mais dans un package plus global que simplement cette mesure."

Il poursuit : "Pour les entreprises, ça ne changerait rien à priori. Car on parle simplement d’impôts des personnes physiques, or les entreprises paient un salaire brut. Elles ne pourront pas prendre comme prétexte que le salarié a plus pour moins les payer. C’est quelque chose qui se règle entre le salarié et les autorités fiscales."


Qu'en est-il du débat politique actuel ? Une hausse du salaire minimum est-elle possible dans les prochains mois? Le politologue Dave Sinardet fait le point.

"Le débat sur le piège à l’emploi est un débat qu’on connaît depuis de nombreuses années. Cela ne veut pas dire que rien n’a été fait. Différents gouvernements ont pris différentes mesures qui ont diminué ce piège à l’emploi. Ce n’est clairement pas suffisant", souligne-t-il.

"Cela a toujours été des petites mesures. Encore cette année, le ministre Van Peteghem a aussi pris une mesure pour éviter qu'un chômeur qui combine son allocation avec le salaire d'un temps partiel, soit pénalisé fiscalement. Mais fondamentalement, le problème reste quand même là. Le problème, c’est qu’il faudrait que tous les partis soient d’accord pour faire quelque chose. La question est de savoir quoi."

Il existe deux pistes de solution.

"Soit on peut diminuer les allocations de chômage ou renforcer leur dégressivité. Là, c’est la gauche qui n’aime pas cette solution", précise Dave Sinardet.

"L’autre solution serait de diminuer l’impôt sur le travail. Là, en principe, tous les partis sont d’accord que c’est une bonne idée. La question est de savoir d’où va venir l’argent pour cette diminution des impôts. Là, les différences entre la gauche et la droite vont se manifester. La gauche dira "On veut payer cette diminution de l’impôt sur le travail avec un impôt sur les fortunes. Mais là, c’est la droite qui va bloquer. La droite dira "On va diminuer les impôts et l’Etat devra dépenser moins pour ses missions." Là, c’est la gauche qui ne sera pas d’accord."

Sur le principe, tout le monde est donc d'accord est pour dire qu’il faut diminuer l’impôt sur le travail pour diminuer le piège à l’emploi, mais la question est de savoir comment le financer.

Dans l’accord du gouvernement, une grande réforme fiscale est prévue. Différentes études et propositions d’experts ont d'ailleurs été faites dans ce cadre. "Le ministre Van Peteghem est en train de préparer une réforme. Ce ne sera peut-être pas possible de faire une vraie grande réforme lors de cette législature, mais on peut faire des pas en avant. Je crois qu’on peut trouver un consensus sur une petite réforme fiscale où on diminuerait un peu les charges sur le travail. Une grande réforme qui ferait disparaître ce piège à l’emploi, je ne pense pas que ça soit pour maintenant."



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