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A 62 ans, Michel est devenu chauffeur de car scolaire à Cuesmes, mais en juin, il ARRÊTE déjà: il déballe ses problèmes

A 62 ans, Michel est un pensionné qui a choisi de continuer à bosser. Chauffeur de bus scolaire, il dénonce toutefois les mauvaises conditions de travail qui, selon lui, mettent en péril la sécurité des enfants à bord.

"Je suis chauffeur professionnel depuis plus de 30 ans et je n’ai jamais vu ça. On est vraiment pressés comme des citrons", se plaint Michel, âgé de 62 ans, via notre bouton orange Alertez-nous. Cet habitant de Morlanwelz, dans le Hainaut, a repris récemment du service en tant que chauffeur chez le groupe Kéolis, particulièrement actif dans le secteur du transport scolaire. "C’est une première. Je n’avais jamais conduit des bus d’écoliers", souligne le sexagénaire.

Il y a deux ans, lorsqu’il décroche cet emploi par le biais d’une agence d’intérim, Michel est ravi. Il ne pensait pas se retrouver si vite derrière le volant d’un car puisqu’il venait de quitter le monde du travail. "Après 45 ans de carrière au compteur, j’ai pris ma retraite à 60 ans parce que j’avais un souci à la hanche", indique le père de famille dont la pension s’élève à 1.400 euros par mois. Grâce à une opération réussie, Michel décide toutefois de se remettre très vite en selle. "Je me suis fait opérer en février 2014. J’avais un super médecin. J’étais donc en super forme après et j’ai eu l’envie de retravailler pour m’occuper", explique-t-il. D’autant plus que le chauffeur souffre d’un problème musculaire pour lequel son médecin lui recommande de rester actif.


"On peut retravailler sans perte un franc de sa pension complète"

"Grâce à la nouvelle loi, on peut retravailler sans perdre un franc de sa pension complète. Je suis très content de cela. Je tire d’ailleurs mon chapeau aux retraités qui reprennent le travail", souligne-t-il. Depuis le 1er janvier 2015, les limitations de revenus professionnels perçus en plus de la pension sont en effet supprimées. Cette suppression de cumul vaut pour toute personne ayant atteint 65 ans ou ayant une carrière de 45 ans même sans avoir atteint l’âge légal de la retraite. Une mesure qui "favorise la liberté de choix des aînés", s’était à l’époque réjoui le ministre des Pensions, Daniel Bacquelaine. Pour Michel, ce revenu supplémentaire lui permet aussi de donner un coup de pouce financier à sa famille, tout en comblant ses envies de voyage.

Le sexagénaire est employé chez "Les voyages Lenoir", une filiale de Kéolis à Cuesmes, dans le Hainaut. Dans un premier temps, il a été employé en tant qu’intérimaire. Ensuite, en juin 2015, il a signé un contrat à durée déterminée d’un an.

"Je fais des services coupés du lundi au vendredi", indique-t-il. D’après son contrat, il est engagé selon un horaire hebdomadaire de 25 heures qui peut varier, en fonction des demandes des écoles.

"Une grande partie des chauffeurs pour le transport scolaire travaille à temps partiel car le service est interrompu. Il y a le ramassage scolaire le matin et le soir, ou le midi le mercredi. Les transports vers les cantines ou les piscines. On essaye de compléter leur journée avec d’autres services spéciaux comme les visites médicales. Ils ont alors un temps complet. Mais ce n’est pas possible de le faire pour tous", explique Pierre Denis, directeur opérationnel chez Kéolis pour la Wallonie.


"Pour moi, c’est de l’arnaque complète"

La flexibilité est donc importante dans ce secteur. "Mes salaires et mes heures de travail varient d’un mois à l’autre. Je gagne entre 1.100 et 1.150 euros par mois. On peut m’appeler à n’importe quelle heure pour un dépannage. Tout est variable", indique Michel.

"La loi est très stricte. Dans le contrat, on doit prévoir le nombre d’heures. Par exemple 25 heures par semaine. A la fin d’une prestation, il y a un décompte. Le chauffeur doit remplir une grille horaire et les heures prestées sont payées. Si un chauffeur fait plus que 25 heures, il y a un avenant, un contrat complémentaire, pour les heures supplémentaires", assure Pierre Denis.

Mais le retraité dénonce des "chipotages dans les heures" et un système de forfait qui ne correspond pas à la réalité de terrain. "On nous paye au forfait par trajet, sans tenir compte des embouteillages éventuels et des imprévus. En plus, les heures d’attente, en stationnement, quand les enfants sont à la piscine par exemple, sont payées à 50% et non à 100%. Pour moi, c’est de l’arnaque complète", déplore-t-il. "Le seul côté positif c’est que je suis toujours payé à temps", admet-il toutefois.

"Les tournées sont prédéfinies en termes d’heures. En général, c’est assez large pour tenir compte des bouchons. Mais s’il y a une modification importante, comme des travaux ou des files récurrentes, le chauffeur doit le signaler et cela sera pris en compte. On adaptera l’horaire et la fiche de paye", répond le directeur opérationnel. "Ce n’est pas vrai. Mon contrat ne dépasse d’ailleurs jamais les 25 heures, alors que j’en preste plus", soutient Michel.


Des agressions verbales de la part d'automobilistes

Par ailleurs, le pensionné épingle un autre souci: en tant que chauffeur scolaire, il doit faire face aux agressions verbales. "L’autre jour, je me suis fait agresser à La Louvière par un automobiliste qui m’a insulté. C’est infernal. Parfois le matin, devant les écoles, il y a aussi les parents qui se garent sur les trottoirs ou sur les emplacements réservés au bus scolaire. Surtout, ne leur faites pas une remarque, car c'est le bras d'honneur ou le 'va te faire foutre'", affirme Michel.


L'accompagnatrice absente, le chauffeur doit gérer 35 enfants: "C'était de la folie"

Récemment, le Hennuyer raconte avoir effectué un circuit particulièrement stressant. Sa mission du jour est de transporter des élèves de deux écoles situées à Gosselies et Trazignies. "Leur accompagnatrice n’était pas présente parce qu’elle avait pris congé. Et personne ne l’a remplacée. J’étais donc seul avec 35 enfants à bord, âgés entre 8 et 10 ans. Le matin, à l’aller, cela s’est bien passé. Mais au retour, c’était de la folie. Un enfant a donné un coup dans le visage d’une jeune fille. Son nez a pissé du sang. Du coup, j’ai dû m’arrêter et gérer la situation sans aucune aide. Pendant le trajet, j’ai évité de justesse trois accidents parce que des enfants bougeaient et refusaient de mettre leur ceinture. Vous trouvez cela normal ? La sécurité des enfants est en danger", souligne-t-il.

D’après Pierre Denis, ce genre d’incident peut arriver, mais c’est rare. Pour les enfants de maternelle, primaire et de l’enseignement spécialisé, il doit y avoir un accompagnateur à bord du car. Si celui-ci est absent, il est remplacé. "Si cela arrive, on prévient les TEC qui gèrent le transport scolaire pour la région wallonne. Ce sont eux qui contactent le service compétent de l’administration pour trouver un remplaçant dans le " pool " existant. Quand cela arrive de façon inattendue, on essaye de trouver une solution le plus rapidement possible", indique le directeur opérationnel, qui confirme que le rôle des chauffeurs n’est pas de gérer les enfants. Dans ce cas, il leur conseille de prévenir directement leur responsable qui pourra à son tour avertir les TEC.


"On fournit un maximum d’aide à nos chauffeurs"

"On fournit un maximum d’aide à nos chauffeurs. Il y a un manuel complet à bord du car qui leur explique quoi faire face à chaque situation. Nous donnons aussi des formations internes dont l’un des modules traite de la gestion du stress. On essaye de leur donner des conseils pour travailler dans un climat serein", indique-t-il. "Et si un conflit éclate ou si une situation de crise se dessine, le mieux est toujours de le signaler à son responsable qui pourra répercuter le problème à l’école ou à l’administration."

Une nouvelle fois, notre pensionné réfute cette déclaration."Jusqu’à présent, je n’ai reçu aucune formation concernant le stress. Et j’ai expliqué à mon patron ce qui s’était passé ce fameux vendredi. Il m’a dit de laisser tomber et d’écraser", prétend-il.


"Certains chauffeurs ont plus de 75 ans, c’est inadmissible"

Et, d’après Michel, certains d’entre eux reprennent la route trop rapidement."Des chauffeurs qui ont été mis de côté pour des problèmes cardiovasculaires conduisent quand même. " En outre, si notre retraité roule à 62 ans, il est visiblement loin d’être le plus âgé. " Quelques-uns ont plus de 75 ans et continuent de conduire avec des élèves à bord. C’est inadmissible", estime-t-il.

Kéolis affirme qu’il n’existe en effet pas de limite d’âge pour les chauffeurs. "En Wallonie, il y a deux employés qui ont plus de 75 ans. Les pensionnés qui travaillent chez nous ont souvent un horaire plus réduit de 19h et sont suivis de très près au niveau médical", indique Pierre Denis qui souligne que la santé des chauffeurs est vérifiée régulièrement. Pour conserver leur permis D (transport de personnes), il faut en effet passer un contrôle médical qui devient plus fréquent avec les années et si des problèmes de santé sont décelés. Lorsqu’ un chauffeur tombe malade, il est obligé de passer une visite médicale de reprise."La médecine du travail est intransigeante concernant des problèmes de santé qui pourraient potentiellement remettre en cause la sécurité des passagers. Comme des soucis cardio-vasculaires ou du diabète. Un chauffeur peut perdre son permis ou alors il est suivi de très près parce que c’est dangereux", indique Pierre Denis.


Michel compte changer d’employeur

Michel, lui, n’en démord pas. La vie des enfants est parfois mise en péril. "Visite médicale ou pas, je suis désolé mais quand on a 77 ans, on est peut-être apte à rouler mais on n’a pas les mêmes réflexes. Or, il faut être conscient que ce sont des écoliers que l’on véhicule. C’est une énorme responsabilité !"

Notre retraité a d’ailleurs pris sa décision. Il ne compte pas renouveler son contrat de travail qui se termine fin juin. Cette expérience négative dans le secteur du transport ne ternit cependant pas son envie de rester actif. "Je vais aller travailler ailleurs. J’ai déjà d’autres demandes et j’ai un CV en béton", souligne Michel. Seul un souci médical pourrait changer ses plans."Je compte bosser jusqu’à ce que ma santé le permette. Si j’ai 65 ans ou même 67 ans, tant mieux. Mais je ne pense pas continuer au-delà. Ceux qui travaillent après 75 ans, je trouve cela anormal. Ce sont des gens à risques", martèle-t-il.

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