Accueil Actu

Accro au RedBull, Nicolas en boit 3 litres par jour: "Tachycardie, spasmophilie, insomnies, … je paie le prix fort"

Un étudiant de 24 ans, se disant dépendant au RedBull, a voulu alerter le grand public sur les dangers liés à la consommation excessive des boissons énergisantes. Après avoir bu quotidiennement 3 litres de cette boisson pendant des années, et avoir souffert de tachycardie et de palpitations, il est en sevrage progressif. Une période qu'il vit difficilement: "Les séquelles sont là, affirme Nicolas. Je suis devenu fragile. Le moindre stress peut me pousser à la crise de panique".

En 2011, Nicolas* s'est laissé tenter par le RedBull. "Une façon bête de faire comme tout le monde", considère-t-il. A l'époque, le jeune homme va sur ses 20 ans et est étudiant. "Au départ, je buvais du RedBull par plaisir et par effet de mode, raconte-t-il via notre page Alertez-Nous. En soirée, j'en mélangeais des quantités assez importantes à de la Vodka par exemple".

Puis, Nicolas commence à en boire un peu en journée. Le RedBull lui donne "un coup de fouet" que ce soit en cours ou lors des examens. Dormant peu la nuit, et de façon irrégulière, le jeune homme était par conséquent souvent fatigué. Et ce manque de repos va jouer un rôle clé dans sa consommation.

Il passe de deux cannettes par semaine à 3 litres de RedBull par jour

Nicolas commence par une à deux cannettes de 25 cl par semaine. Et, rapidement, il mord à l'hameçon: "J'ai accroché à son goût et aux effets énergisants que cela procure, se souvient-il. Et comme j'étais fatigué, je suis passé à une canette de RedBull par jour".

La boisson l'aide à "tenir le coup" dans ses études. Avec 25 cl par jour, Nicolas se sent en forme "sans que cela ne le rende agressif". Mais très vite, il lui en faut plus. Toujours plus. "Mon corps en redemandait encore et encore, affirme-t-il. En 3 ans, je suis passé de 50 cl par semaine à 3 litres par jour".

Il nous envoie une photographie des canettes vides qui jonchent son bureau, après quatre à cinq jours de consommation.



3 litres de Redbull par jour = 300€ par mois

L'addiction de Nicolas lui coûte cher: pour tenir le rythme, il dépense jusqu'à 10€ par jour. "Une canette de 50 cl coûte 0,89€ pour les sous-marques, comptabilise le témoin. Donc, cela faisait 5€ par jour. Et quelques fois, 10€ quand je prenais la vraie marque, qui coûte 2 à 3 € les 50 cl dans les pompes à essence ou en librairie".

La facture grimpe rapidement: en un mois, au plus fort de sa consommation, Nicolas dépense jusqu'à 300€ en boissons énergisantes.


"J'avais le cœur déchaîné, de fortes douleurs au thorax, des difficultés à respirer"

Autour de lui, ses proches réagissent. "Les gens pensaient que j'abusais, mais ce n'était pas le cas: c'était devenu un besoin quotidien, assure Nicolas. Sans cela, je devenais nerveux et agressif". Et malgré les avertissements de son entourage, le cercle vicieux se met en place, petit à petit.

Un an et demi plus tard, les premiers effets importants se font ressentir sur sa santé. A force de boire du RedBull, son cœur s'emballe. En pleine nuit, Nicolas doit être emmené à l'hôpital. "J'ai dû aller aux urgences, se souvient-il. J'avais le cœur déchaîné, de fortes douleurs au thorax, des difficultés à respirer". Diagnostic: Nicolas fait de la spasmophilie, c'est-à-dire qu'il souffre d'une attaque de panique. On lui parle aussi de tachycardie, soit d'un rythme cardiaque plus élevé que la normale.

A son retour de l'hôpital, le calvaire de Nicolas se poursuit. "Je ne savais plus manger sans être malade", dit-il. Et lorsqu'il tente de cesser sa consommation extrême, l'angoisse le saisit: "Les crises de panique se multipliaient avec force, cela me terrifiait. Je voyais ma mort à chaque crise".

Nicolas consomme chaque jour près d'un gramme de caféine : il est intoxiqué

Le responsable de son état? La caféine. "C'est l'intoxication à la caféine qui provoque les effets qu'il décrit, explique Jean Nève, président du conseil supérieur de la santé. Dans une cannette de RedBull, on a 80 mg de caféine, soit l'équivalent d'une tasse ou deux de café corsé. Un adulte peut supporter 400 mg de caféine par jour sans problème, soit cinq tasses de café".

Or, avec 3 litres de Redbull par jour, Nicolas consomme 960 mg de caféine, soit près d'un gramme au quotidien, bien au-delà des doses maximales recommandées. "Si on prend des doses de 7 grammes de caféine d'un coup, on peut en mourir", avertit Jean-Nève.

A cette époque, Nicolas est à bout de forces. "J'en suis arrivé à un stade de fatigue intense, explique-t-il. Je ne pouvais plus me réveiller". Et pour cause: le produit masque la fatigue sans supprimer le besoin de repos.

Selon le spécialiste, Nicolas n'exagère pas ses symptômes. "Tout ce qu'il décrit me semble classique, ça apparaît dans la littérature, poursuit le président du Conseil supérieur de la Santé. Les effets indésirables apparaissent en fonction de la dose qu'on consomme. Ça commence avec des problèmes cardiovasculaires, comme des palpitations, puis cela se poursuit avec des problèmes psychocomportementaux, comme de l'agitation ou de l'anxiété".


Il s'intoxique aussi à l'eau: ses reins peuvent en pâtir

Par la suite, un autre médecin fait passer des tests cardiaques à Nicolas ainsi qu'une gastroscopie. Résultat: "Je n'ai pas de problème au coeur et mon estomac est enflammé dû au stress", explique-t-il.

Mais en plus de l'intoxication à la caféine, il y a l'intoxication à l'eau que subit l'étudiant. En effet, boire quotidiennement de telles quantités de liquide est mauvais pour sa santé. "L'intoxication à l'eau n'est pas rare, affirme le professeur Paul Verbanck, chef du département de Psychiatrie du centre hospitalier universitaire Brugmann et spécialiste des assuétudes. Prenons le cas d'une personne alcoolique buvant de la bière. Si cette personne consomme entre 20 et 40 cannettes de 33 cl sur une journée, cela représente un apport en liquide de 5 à 10 litres supplémentaires. Ce qui engendre d'importants problèmes aussi lorsque ces personnes cessent leur consommation: leurs reins se sont adaptés au fait d'éliminer de grandes quantités d'eau et ces organes ne récupèrent pas leur capacité de concentration immédiatement. Les patients sont donc déshydratés".

Quant à savoir quelle quantité de RedBull ne pas dépasser, c'est une question de bon sens. "Malheureusement, cela n'a pas encore été déterminé de façon officielle, déplore le directeur d'Univers Santé. La prudence nous dirait de ne pas dépasser 2 à 3 boissons de ce type par jour. On est déjà dans des consommations de caféine relativement importantes".

Peut-on être accro à la caféine? La question divise les experts

Le côté addictif de la caféine ne fait pas l'unanimité. "On ne sait pas trop si c'est un produit addictif, explique le psychiatre Paul Verbanck. Dans les modèles animaux, cela ne correspond pas à l'héroïne, l'alcool, la cocaïne etc. On définit notamment l'addiction par la perte de contrôle de la consommation. Petit à petit, la personne a un comportement de plus en plus orienté vers la recherche du produit et sa consommation. C'est commun aux différentes drogues ou comportements comme le jeu qui peut induire le même type de choses. Mais en ce qui concerne la caféine, les choses sont moins claires". "A notre connaissance, la caféine ne provoque pas de problèmes d'addiction majeure, renchérit Martin de Duve, directeur d'Univers Santé, une plateforme qui promeut la santé en milieu jeune et étudiant. Cependant, cela doit être nuancé car il semble que certaines études montrent une certaine dépendance".

Mais pour Jean Nève, le président du Conseil supérieur de la Santé, il y a bien une dépendance: "Avec ce genre de boissons, on constate une tolérance, une dépendance et un effet de sevrage quand on arrête, affirme-t-il. Ce jeune est sous une dépendance énorme. Ce qui est difficile, c'est le sevrage".

En effet, Nicolas dit s'être senti très mal lorsqu'il a tenté de cesser le RedBull. "Je ne savais plus parler correctement, je souffrais de bégayement, dit-il. On sentait directement ma nervosité énorme".

Pourquoi Nicolas boit-il autant?

Si la dépendance à la caféine n'a pas été unanimement reconnue, comment expliquer la consommation excessive de RedBull de Nicolas? "Il peut y avoir quelques causes à cela, entame Martin de Duve. Dans une boisson énergisante, il y a du sucre. Le sucre donne un apport énergétique important. Qui dit grande consommation de sucre, dit fatigue du corps car il y a un pic énergétique, mais le corps doit l'assimiler. Le sucre actionne aussi un mécanisme de récompense dans le cerveau, proche de celui activé par les drogues psychotropes. On voit que le sujet peut avoir tendance à réactiver ces mécanismes de récompense ensuite. La prise de sucre stimule le corps et à force, un phénomène de tolérance apparait. Dès lors, il faut prendre à chaque fois des quantités plus importantes pour que le phénomène réapparaisse. A force, on tire sur la corde: on donne artificiellement de l'énergie au corps à travers le sucre et la caféine, on épuise ses ressources jusqu'à aboutir à un état de fatigue intense. C'est possible. D'autant plus qu'on dort moins bien."

Le psychologique joue bien entendu un rôle

Dans le cas de Nicolas, il y a aussi une composante psychologique. "C'est certain, confirme le psychiatre Paul Verbanck. Tout le monde ne fait pas ça". "Les psychologues disent que cela correspond à des personnalités qui prennent des risques: à savoir des personnes qui ne sont heureuses que quand elles se mettent dans des situations à risques, confirme Jean Nève. Il peut s'agir de personnes avec des profils assez particuliers. Ils n'ont jamais assez".

Nicolas a choisi d'être suivi par une psychologue afin de "chercher et résoudre ses troubles nerveux". Combien de personnes sont dans son cas? Difficile à dire. "Des statistiques existent aux Etats-Unis, révèle Paul Verbanck. L'intoxication par caféine (donc, en consommer trop et en subir des manifestations) concerne plus de 5% de la population en général".

Un grand consommateur de RedBull va rarement demander de l'aide: "Pour lui, tout va bien"

S'il y a peu de chiffres disponibles sur ces consommateurs excessifs, c'est que peu d'entre eux font appel à des professionnels pour s'en sortir. C'est une chance que Nicolas ait choisi de se tourner vers le secteur médical. "Ces personnes demandent rarement de l'aide, tout simplement parce que c'est rarement perçu comme un problème, indique le chef du département de Psychiatrie de Brugmann. Ces personnes ne consultent pas en identifiant le problème. Elles vont consulter parce qu'elles sont anxieuses, nerveuses ou parce qu'elles se plaignent d'insomnies".

Les patients viennent donc trouver un spécialiste pour régler un effet qu'ils souhaitaient obtenir au départ: "C'est la plainte la plus traditionnelle à ce point de vue-là, confirme le psychiatre. Ils nous disent qu'ils ne dorment plus, en oubliant que c'est pour cette raison-là qu'ils prenaient de la caféine: pour ne pas dormir".

"Les manifestations de manque sont désagréables, mais pas dangereuses en soi"

Aujourd'hui, Nicolas est en sevrage progressif. "Je ne peux pas stopper ma consommation trop brutalement, explique-t-il. La diminution est de 5 à 10% par mois. Au début, cela provoquait des insomnies monstres (72 h sans dormir une minute). Aucun somnifère n'était assez fort... Je suis parti dans une dépression nerveuse avec tout ça. Le coeur n'a subi heureusement aucun dommage avec ma dépendance aux boissons énergisantes, à part de belles crises de tachycardies".

"Il n'y a pas de traitement spécifique, précise le psychiatre Paul Verbanck. Les manifestations de manque sont désagréables mais pas dangereuses en soi. Ces patients sont très fatigués, ils ont des maux de tête, se sentent grippés, ont des angoisses... C'est un mauvais moment à passer. En gros, on attend que ça passe".

Reçu par différents médecins, Nicolas a reçu du magnésium, des antidépresseurs, des anxiolytiques (médicaments contre l'anxiété, ndlr), des somnifères et du calcium. Des médicaments et compléments vitaminés, censés apaiser ses angoisses.

La boisson véhicule une image sympa, associée aux sports extrêmes, à l'amusement et à la santé

Selon Martin de Duve, directeur d'Univers Santé, les boissons telles que le RedBull posent réellement question. Elles se multiplient et ont particulièrement de succès chez les jeunes. "Cette marque fait partie de ces entreprises du secteur qui investissent le plus dans des techniques marketings insidieuses, pointe-t-il. RedBull soutient les sports extrêmes, particulièrement prisés chez les jeunes. Cela donne une image très positive au produit. Or, c'est erroné car on associe la consommation de ce type de boisson au sport, alors que le RedBull n'a rien d'une boisson prisée par les sportifs. Cette boisson n'apporte rien à un sportif qui a besoin d'un complément alimentaire éventuel. La marque s'achète une image fun et saine".

Sans compter les distributions gratuites, régulièrement organisées sur les campus ou près des écoles. "On devrait limiter cela, ce ne sont pas des produits anodins", estime M. de Duve, avant de préciser que ce n'est pas tant le produit qui pose problème, mais "l'usage qu'on en fait". "Au même titre que l'alcool, le produit ne pose pas de problème à petite dose. C'est à l'Etat de réguler, de mettre le holà sur les pratiques commerciales qui poussent les jeunes à surconsommer. Lorsqu'il y a surconsommation, l'Etat peut s'en émouvoir."

La boisson a été interdite en France, pendant tout un temps

Il n'y a pas d'approche unifiée des boissons énergisantes au niveau européen. Seules existent les recommandations du Conseil Supérieur de la Santé. "En France, le RedBull a été interdit pendant tout un temps, puis après un procès, la boisson a été autorisée", regrette Jean Nève, le président.

"La plupart des législations européennes n'avaient pas légiféré sur les taux maximums de caféine autorisés dans les boissons, embraie Martin de Duve, directeur d'Univers Santé. Une fois qu'ils se sont posé la question, les pays se sont alignés sur ce que contenait le Redbull, donc sur un produit existant, plutôt que sur des connaissances scientifiques étudiant l'impact de telles boissons".

"Il n'y a rien de bon dans ce genre de boissons"

Nicolas, lui, a simplement voulu passer un message. "Tu bois un RedBull par plaisir durant tout un temps, mais cela pourrait très vite tourner à l'addiction, prévient-il. Il n'y a rien de bon dans ce genre de boissons, j'en ai fait la bêtise et je le paie en quelque sorte maintenant".

"Les séquelles sont là, affirme Nicolas. Je suis devenu fragile. Le moindre stress peut me pousser à la crise de panique. Cela m'handicape dans tout, par exemple dans la recherche d'un travail. Je ne demande que ça: travailler."


*Prénom d'emprunt

@Justine_Sow

À la une